Un jour, j’ai trop mangé Sola (soir)

…Je disais donc que ce jour-là j’ai trop mangé. Déjeuner impromptu à l’Astrance avec des paquets de volailles et des tonnes de truffes blanches. Difficile quand on est plein comme une outre de faire honneur à un deuxième repas, aussi bon fut-il.

Des conditions donc difficiles pour le chef, Hiroki Yoshitake. Heureusement, il ne l’a su qu’à la fin du diner. Sinon, il nous aurait servi une salade et basta. En tout cas, c’était tout ce que je me sentais capable d’avaler.

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Crème de panais, bisque de homard et émulsion de coquillages.
Pour commencer et pour nous réchauffer, un joli petit bol. On ne les voit pas, mais ils sont bien là: de petits coquillages fermes et goûteux dont la texture relève la douceur du velouté, complète l’umami prononcé du crustacé et apporte un jeu intéressant de textures. C’est riche, doux et crémeux avec une belle “mâche” pour varier les plaisirs.

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Foie gras au miso de Saïkyo, caramélisé au vin blanc, racines de cerfeuil.
Le miso de Saikyo est le plus sucré des miso. Le foie gras est craquant en surface, accompagné d’une purée de racine de cerfeuil et de pomme de terre. C’est brillamment exécuté avec toutefois une sucrosité un peu insistante surtout venant derrière le crémeux du petit bol. Pour commencer un repas, on aimerait des choses plus fraiches, avec de l’acidité, mais je précise que je n’avais pas faim du tout. Alors qui sait?

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Mi-cuit de truite, tomate, pomme, radis et crème de mascarpone.
Enfin, un peu d’acidité qui me fait espérer que je vais retrouver un semblant d’appétit. Ceci dit, pour l’instant, j’ai tout apprécié et je n’ai pas eu à me forcer. Faut-il alors en conclure que si j’avais eu faim, j’aurais été sur le cul? C’est fort possible…

Belle composition autant à l’oeil qu’au palais. Fraiche, pétillante, avec de l’acidité, de l’umami et bien sûr du salé. Le sucre naturel de la tomate, et l’autre sucre naturel du radis avec son piquant léger, les herbes qui apportent leur touche de fraicheur verte cette fois, se heurtent et s’accordent joliment.

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Carpaccio de saint-jacques, radis, gelée de dashi, vinaigrette de citron vert, oxalis.
Le chef nous a appris par la suite que c’était la première fois qu’il réalisait ce plat et que nous avons été les seuls à en bénéficier ce soir-là. Je veux bien être cobaye, mais il fallait que ce soit le jour où j’ai vraiment trop mangé…Pas tout à fait abouti ce plat, ce qui est normal si c’est une première expérience. La gelée de dashi est totalement imperceptible: si le but est d’apporter de l’umami, c’est raté. La crème est de trop surtout qu’il y en avait aussi dans le plat d’avant. Mais comme tous les plats de Hiroki, le dressage est exquis.

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Bulots et racines de persil, sauce ravigote.
Très bel assemblage de terre et de mer, avec des jeux de textures intéressants entre l’élasticité du coquillage, le croquant doux des lamelles des légumes raves, du croquant plus fibreux des pointes de ces racines. J’ai l’impression de trouver une petite influence japonaise, mais je n’arrive pas à mettre mon doigt dessus. Les cuissons sont résolument parfaites…J’en reprendrais bien…Tiens, aurais-je faim?

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Calamar, courgette, crème de tofu, émulsion de parmesan et miel.
Joli, joli, joli…des textures magnifiques, des cuissons brillantes. Les Japonais connaissent bien plus les céphalopodes – dont la cuisson est très difficile – que les Français, il faut en profiter. Avec le croquant des courgettes, c’est exquis. Bien que la sucrosité et les crèmes ou mousses blanches qui ont l’air d’être autant de constantes tout au long du repas me dérangent un peu, je prends conscience tout d’un coup que je ne suis pas si rassasiée que ça. En fait, l’appétit vient en mangeant même si on n’a pas faim du tout, et si la cuisine est bonne…belle découverte non?

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Cabillaud, épinards, tartare de poularde de Bresse, riz soufflé.
Le bouillon soit bon et le riz soufflé très sympathique par son fumet et son croquant. Mais ce plat ne m’inspire pas. Rien à dire sur les cuissons qui sont toujours parfaites, autant sur le poisson que sur les épinards. Peut-être est-ce la présence encore une fois imperceptible (si on ne nous l’avait pas annoncé, on ne l’aurais sans doute pas deviné) de la poularde de Bresse qui vient déranger. Un p’tit truc de trop? Dont on se demande “à quoi ça sert”?

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Turbot, lard de Colonnata, jeunes poireaux et leurs racines.
Soit c’est moi, soit c’est le plat. Le poisson est parfait, presque meilleur que celui de l’Astrance que j’ai mangé à midi (exercice très délicat pour un chef grand admirateur de Pascal Barbot et qui a été stagiaire dans son restaurant, de servir le même poisson le même jour…s’il l’avait su). J’adore les racines des poireaux, qui se mangent comme des chips, avec les doigts, brindille par brindille (c’est moi ça, c’est pas le chef qui l’a dit). Mais je commence à développer une véritable phobie du lard de Colonnata qui semble être un apport de gras facile utilisé partout mais dont je ne vois pas souvent l’intérêt.

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Cochon ibérique, purée de céleri rave, chou pointu violet, poitrine caramélisée, crème d’ail noir.
Ça, c’est magique. Il n’y a pas d’autre mot. Non seulement c’est un véritable tableau fleuri (sans aucune fleur) mais surtout, c’est à tomber. Oui, ça ressemble à l’Astrance, la comparaison étant d’autant plus facile que j’y étais 3 heures auparavant. Et probablement que c’est le même chou pointu violet qu’à midi. Mais on s’en fout! Ce qui est bon est bon, que cela ressemble ou non à autre chose, à chaque fois l’émerveillement est là, nouveau et frais.

Le cochon est superbe, autant le produit que son traitement. La purée de céleri continue dans une sucrosité mais qui ici ne dérange en aucune façon grâce au jus de viande et à la fraicheur du chou. De plus, l’ail noir contribue son umami persistant et l’oxalis apporte de la fraicheur.

Seul défaut du plat: le morceau de cochon était trop petit…Mais j’ai su par la suite que le chef avait diminué de moitié la part de viande puisqu’il avait ajouté un plat au menu et pensait que cela ferait trop. Idiot. Imbécile. Crétin. Ce n’est pas parce que je n’ai pas faim que je vais me contenter d’une bouchée d’une si belle viande!!! Encore, encore, encore…

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“Balançoire tape-cul”: tuile d’abricot, crème d’orange et banane. Sorbet de kumquat, kaki, mangue, confiture d’abricot.
Et voilà. Snif. On passe au dessert. Je m’aperçois soudain que j’ai vraiment trop mangé aujourd’hui. Mais ce dessert est très frais, avec une pointe aigue acidulée dont le réveil brutal est adouci par le crémeux de la banane et l’orange. Très belle composition qui ouvre l’appétit.

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“Snow-drop »: châtaignes et crème de châtaignes, espuma et glace vanille, chocolat blanc et sauce yuzu.
On ne le voit pas du tout sur la photo (prise avec un IPhone dans un lieu très très sombre) mais ce dessert est féérique. Il évoque la neige, l’ambiance d’un Noël d’enfant qui croit au Père Noël. Des cuillerées qui sont de véritables cadeaux que l’on ouvre avec joie. Chaque bouchée apporte une saveur autre, un jeu différent. Châtaigne que l’on croque, châtaigne qui fond. Le blanc, de la vanille froide et la vanille à température, du chocolat aussi, avec à la fin, la pointe très acidulée, parfumée, du yuzu. Il est très doué ce pâtissier, Hironobu Fukano, également Japonais.

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Nuage de soja, caramel de matcha.
Petits carrés de “tofu” légèrement sucrés, très souples, évanescents. Des mignardises exécutées avec brio pour clore un repas qui dura tard dans la nuit.

Ce n’est que la deuxième fois que je viens ici. La première fois, c’était à quelques semaines de l’ouverture du restaurant, avec ce nouveau chef japonais que j’avais déjà croisé lorsqu’il était stagiaire à l’Astrance. J’avais trouvé alors sa cuisine immature, faite d’imitations des cuisines d’ici et là-bas. C’est normal, il vient d’ouvrir. Mais en l’espace d’un an et demi, cette même cuisine s’est trouvée. Peut-être a-t-elle encore du chemin à faire, dans le domaine de l’assurance, de la confiance en soi. Car la seule chose qui lui manque, c’est le coup de poing sur la table qui dit: “C’est MOI le chef, et c’est comme ça que je le veux”. On sent une petite faiblesse dans l’ajout du dernier petit truc en trop, totalement inutile dans un ensemble qui atteint déjà la perfection. Et ce, lors d’un diner qui a suivi un déjeuner à l’Astrance. Chapeau bas au chef. La prochaine fois, je m’assurerai d’avoir très faim. Et je préciserai bien que quelque soit le nombre de plats, il ne faudra pas me réduire les portions…non mais!

Sola
12 rue de l’hôtel Colbert 75005
Tél pour le déjeuner: 09 65 01 73 68
Tél pour le diner: 01 43 29 59 04
Fermé le dimanche et le lundi. Voiturier à partir de 19h30
Menus 48€/déj, 88€/diner.

Excellent rapport qualité/prix.

PS: J’ai tendance à négliger la salle, la déco, etc, mais Sola est un restaurant où l’on se sent bien. Toute la vaisselle qui n’est pas blanche est faite par les beaux-parents du chef, au Japon, pièce par pièce. Tous les détails sont pensés, pesés, pour rendre l’expérience la plus agréable possible, un mélange de modernité confortable, légère et sans prétention dans de grosses vieilles poutres du Paris ancien. Toute l’équipe est jeune, avec l’enthousiasme et l’intégrité que seuls les jeunes peuvent avoir, à commencer par le gérant qui est également associé du Saké-bar, Ly Youlin, un gars qui doit être formidablement intelligent, car comment créer de tels lieux sinon?