Un jour, j’ai trop mangé Astrance (midi).

Parfois les capacités de mon estomac m’impressionnent. Ce fut le cas ce jour-là, quand j’ai déjeuné à l’Astrance et diné chez Sola.

D’abord ce déjeuner à l’Astrance. J’avais déjà réservé Sola des semaines à l’avance, hors de question que j’annule. Mais lorsque je suis passée à l’Astrance, j’ai vu ça:

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Des truffes blanches, posées sur le comptoir. Christophe Rohat, le maître des lieux, soulève le couvercle. C’est comme dans Cendrillon ou Blanche Neige, quand une gentille fée agite sa baguette magique : l’air scintille alors d’un parfum magique, envoûtant. Il fait exprès, évidemment, pour m’envoûter à sa manière, plus terreuse. Ça marche. Je me précipite pour une réservation. Zut zut et rezut, je sais bien que tout est complet jusqu’en 2013. Mais Christophe me trouve juste 2 couverts pour midi le lendemain. Je n’hésite pas une seconde. Tant pis! Je mangerai un peu plus que je ne devrais, c’est tout…

Donc voici ce déjeuner “truffe blanche” à l’Astrance.

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Mise en bouche. Les brioches d’autrefois sont devenues des fines tuiles. Les palets aux amandes et pomme sont inchangés même s’ils sont, comme d’habitude, un peu différents. Aujourd’hui la pomme est moins croquante, plus douce.

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Ça, c’est nouveau. Des oshibori, ces serviettes chaudes en hiver, froides en été, qui vous accueillent partout au Japon. On les rencontre parfois à Paris, mais 9 fois sur 10, elles sont détrempées ou trop parfumées ou les deux. Celles-ci sont parfaites, elles pourraient provenir d’un des meilleurs sushiya de Tokyo. Au Japon, ce sont des entreprises spécialisées qui les livrent tous les jours, et il y a une sorte de frigo (chaud et froid) spécial oshibori, pour les garder à la bonne température et dans de bonnes conditions d’hygiène. Qui? Où? Comment? demandai-je à Thomas, le senior des deux serveurs. “Ah, mais nous avons maintenant la machine, comme au Japon” – “Mais il y a une entreprise en France qui livrent les serviettes?” – “Mais bien sûr Madame Masui. Ça vient de la la Maison Rohat….En fait, c’est Christophe qui emmène les serviettes chez lui, les lave, les ramène au restaurant, et nous les roulons”.

Cela me rappelle l’époque où Madame Mizutani, du restaurant Mizutani à Tokyo, faisait des aller-retour dans le train de Tokyo à Yokohama (2 heures), et lavait les oshibori dans sa machine tous les jours…

Et cela me rappelle aussi que l’Astrance est le seul restaurant 3 étoiles à Paris où j’ai vu les deux patrons-associés, le chef Pascal Barbot ou le directeur du restaurant Christophe Rohat, rentrer les poubelles après le passage des camions…

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Pas d’autres amuse-bouche pour nous. On passe directement au premier plat. Saint-jacques juste raidies, moelle, citron confit, beurre de kombu. Sous le chou rouge pointu, une huitre absolument fantastique. Le chou est croquant mais presque sucré, c’est la nature…La moelle apporte de la gourmandise, de la graisse, un côté animal. Le beurre de kombu donne un fort umami salé au plat, avec une touche de sucré. Des fleurs et de la verdure qui ne sont pas seulement décoratives, mais qui ont du goût, et bien sûr du parfum.

Ce plat était déjà un de mes préférés lorsque nous avons fait le livre (cf. Astrance – Livre de cuisine, Ed. du Chêne). Mais voici que Pascal ajoute de la moelle. Et le chou, qui est probablement ce qui “trainait en cuisine ce jour-là”…

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Le vin choisi par Alexandre le sommelier pour accompagner ce plat. Très bel accord avec de la minéralité et de la légèreté.

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Deuxième plat: le turbot, parfaitement nacré. Tiens, maintenant les barbes restent rattachées au filet par la peau. Condiment de poire, crème de miso. Un bout de coing et des châtaignes. Les petits points noirs ont du punch; le point vert aussi, une huile d’ une herbe. Les fantaisies du chef, parcimonieuses, qui nous intriguent…

Sur le côté, un petit bol avec quelques lamelles de châtaignes en plus. Pour ne pas charger l’assiette. Elles collent délicieusement aux dents.

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Le vin, un saumur cette fois. Plus vineux si ma mémoire est bonne mais j’avoue que je suis toute à la cuisine.

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Ah! Voici le plat pour lequel je suis venue! L’œuf au plat aux truffes blanches. Pascal dit (dans le livre) qu’il ne le fait que quand l’œuf est parfait et la truffe est parfaite. Je sens que l’œuf aujourd’hui n’est pas “parfait” (chacun a ses critères de perfection, ceux de Pascal sont PARTICULIÈREMENT exigeants, on s’en doute) car le chef les préfère plus petits. Christophe vient avec la mandoline et nous rajoute des lamelles de truffe, puis du jus de viande.

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C’est délicieux. Je déteste ce mot, mais parfois il est incontournable. Sous l’œuf une crème de champignons à la fois suffisamment neutre pour ne pas déranger les saveurs somme toute subtiles du plat, mais dont le terreux délicat se marie et sert de liaison entre la texture et le goût très particuliers de l’œuf, et la texture et le parfum tout aussi caractéristiques de la truffe. Les feuilles de capucine jouent un rôle précieux, en apportant un piquant vert, de la fraicheur.

J’aurais dû le filmer mais ça a été trop vite. Un petit bol sur le côté…

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…un geste rapide de la part de Christophe …

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…et voilà! Un GROS TAS de lamelles de truffe!

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ÇA SENT LA TRUFFE!! Mais cette fois avec la polenta et des bouts de pâte de tempura frite, qui apportent du gras, du croustillant à un petit bol très très riche. Et pour lequel on se damnerait.

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Rigolo l’étiquette. Nonobstant son aspect décalé, un très bon vin qui se marie très bien aux deux plats de truffe.

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Interdiction de photographier le prochain plat, et même d’en parler…à déguster avec volupté et les doigts bien entendu. Je n’ai pas résisté à la tentation de vous rendre jaloux…

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Accompagné d’une salade de mâche, toute simple, avec oignon au vinaigre et ce qui ressemble étrangement à un tsukémono de daikon dans le style des tsukémono de la région de Nagano, au Japon, reconnaissable par le croquant du légume mais surtout un goût sucré-salé de sauce soja et de sucre cuits, bien “imbibé” qui donne un tsukémono parfaitement appréciable sans riz. C’est un tsukémono que j’aime bien et que je fais parfois. Mais il n’est pas tout à fait celui que je connais…une variante à la Barbot, sans aucun doute.

Alexandre nous apporte un autre vin. Et moi qui pensais que nous avions fini…eh bien non.

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Thomas pose des couverts à viande, c’est à dire le couteau qui coupe bien. Pour une fois, pour la première et dernière fois sans doute, j’avais espéré un déjeuner léger à l’Astrance à cause du diner que je sais sera conséquent.

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Mais la raison part aux quatre vents à l’Astrance…Youpi! Le canard! Une de mes viandes préférées, cuite à perfection, ce rosé juteux est irrésistible. Avec des épinards et des jujubes. Et un point d’huile de sansho. J’adore…Un produit merveilleux, une cuisson géniale. Un jus magnifique. Tout est là. Simple…et à se taper le cul par terre!

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Un bout de cuisse et la rôtie. Cette dernière a beaucoup évolué depuis que je la connais. Au début elle était un peu “chichiteuse” comme dirait Pascal, qui ne peut s’empêcher de traficoter ce grand classique français. Mais maintenant elle a atteint sa pleine maturité, riche et forte en goûts et matières. Pascal a fait le tri et a enlevé le superflu.

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Sorbet piment-citronnelle. Là je sais que c’est la fin. Je n’ai plus faim du tout mais j’aurais bien continué…

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Les desserts étaient le point faible de l’Astrance mais ils ont énormément progressé. Lorsque j’ai posé la question à Pascal, il me répond que c’est parce qu’il s’en occupe plus qu’avant…et du coup délaisse un peu la cuisine. AH? Première nouvelle, en tout cas, cela ne se ressent pas du tout. Si les desserts sont vaaaachement meilleurs qu’avant, la cuisine est tout aussi magique.

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Un joli porto blanc pour accompagner le sucré, et ce fut vraiment la fin.

Nous avons été horriblement gâtés. Il était 16h30 quand nous sommes sortis de table et mon diner était à 20h…la journée n’est pas finie.

(à suivre)