Ryugin–pas mauvais, beaucoup de mise en scène. Faut aimer.

Tout ce que je dis aujourd’hui est à prendre avec un gros grain de sel car j’ai besoin de vacances. Après des mois passés à manger riche, soigné, travaillé, créatif, gastronomie plus ou moins haute, etc. etc., j’ai besoin de vacances et manger simple. Direct. Pas de création. Pas de chichis.

 

 

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Malheureusement, je suis encore à Tokyo, et ce soir c’est Ryugin. Un resto dont on parle beaucoup et qui, si ma mémoire est bonne, a été le seul resto japonais cité dans le classement San Pellegrino malgré qu’il n’ait que 2 étoiles au Michelin.

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Le restaurant est petit. Pour le Japon, les tables sont proches les unes des autres. La déco est très dragon. Des dragons partout. C’est normal, vu le nom du resto. Mais cela surprend. Nous sommes loin de la sobriété et de l’épurement japonais.

 

 

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Le repas suit le déroulement d’un kaiseki classique, c’est-à-dire avec un bol de soupe claire, un sashimi, un mijoté, une friture, une grillade, le riz et la soupe miso à la fin et un fruit. (aller voir dans mon livre Poissons un art du Japon pour plus de précision et l’ordre imposé, je ne peux pas l’expliquer ici, j’ai oublié, mais c’est très codifié, comme dans un repas français entrée – poisson – viande- fromage – dessert mais en beaucoup plus long). Chaque méthode de « cuisson » ou de préparation est représenté.

On commence par un « maki » de crabe et autour chose, rien à signaler. Ni très bon ni très mauvais. Une bouchée, une amuse bouche qui passe bien sans choquer ni réveiller les sens.

 

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Ensuite vient un chawan-mushi, avec du mochi et d’autres choses. Très bon. Visiblement le chef veut éviter la banalité à tout prix. On le sait par la présence du mochi dans un chawan-mushi qui est tout à fait inattendue (le mochi est toujours servi dans une soupe claire ou miso, ou grillé avec une feuille de nori autour) même si on peut se demander ce que ça apporte de plus comparé à un très bon chawan-mushi avec des produits très banals dedans (noix de gingko, crevette, poulet, mitsuba etc). Je suis très méfiante des cuisines qui veulent absolument sortir des sentiers battus. Tout ce que je veux c’est que ce soit bon et c’est très difficile d’être « créatif » avec les grands classiques.

 

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Puis un plat de matsutake d’été, un champignon qui est excellent et très cher, un mets prisé. Celui-ci est de très bonne qualité, parfumé, texture parfaite. On a envie d’en avoir plus et moins des autres trucs qui viennent avec. Rien ne vaut un bon riz au matsutaké (le parfum !) ou un matsutaké tout juste grillé au charbon. Le dashi est bien costaud, très prononcé, ma chère maman qui est du Kansai ou tout est moins salé appellerait ce dashi  « vulgaire ». Mais je pense que c’est une question de goût, certains disent que le dashi de Kyoto n’a pas de goût.

 

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Ensuite, le « wan » ou le « bol ». on reste dans un style kitch qui est en phase avec l’ambiance du resto. Le couvercle reproduit un tableau qui est au mur.

 

Au milieu, un hamo, un poisson des mers d’Osaka et d’Awaji, qui a une chair très particulière, blanche, fragile mais qui tient bien et qui s’ouvre à la cuisson, un peu comme une fleur (je ne fais pas de la poésie, c’est littéralement comme une fleur). Le hamo –nabé, ce qu’on appelle une « fondue »en France, c’est-à-dire la marmite sur la table et chacun se sert, est une spécialité de l’été de la région d’Awaji entre autres. Ce bol de hamo est malheureusement totalement raté, du moins pour moi, car le dashi est beaucoup trop assaisonné. Du coup, la délicatesse du hamo est massacrée car c’est vraiment une chair qui a très peu de goût.

 

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Ensuite le sashimi. De gauche à droite, sashimi de langouste, zuké de bonite avec une montagne de myoga, et probablement du karei, la version été du hiramé. Le sashimi de langouste est très légèrement assaisonné, le zuké de bonite est un zuké donc déjà assaisonné. La seule chose qui est nature est le karei. Sauce soja, sel, citron vert et wasabi, au choix et à l’humeur.

 

Le problème, c’est qu’après une semaine passée au Japon où je n’ai pas arrêté de manger des chichis, je ne supporte plus les machins où on me donne trente mille choix. J’ai envie d’une tranche franche et nette d’ormeau de chez Mizutani, où il y a du wasabi, un point c’est tout. OK, j’ai un esprit retors mais ça me donne vraiment l’impression qu’on n’est pas sûr de soi que d’offrir autant de choix.

 

Les crustacés sont meilleurs cuits. Sauf dans des cas très rares où ils jouent un rôle différent, quand on apprécie leur texture collante et un sucre presque sirupeux différent du sucre plus franc et simple du crustacé cuit. Pour moi, un sashimi de langouste n’a pas de sens, de la même façon qu’un sashimi de homard n’en a pas. Ce sont des crustacés dont la texture et les saveurs sont tellement plus riches et intéressantes cuites (évidemment faut pas les cuire dans n’importe quoi) que je n’ai jamais compris pourquoi on veut toujours les faire en sashimi. J’ai toujours pensé que c’est une forme ostentatoire et de faire autre chose qu’un bête sashimi de poisson. Sauf que c’est meilleur. Alors qu’est ce qu’on préfère, manger moins bon mais plus cher et plus rare, ou manger meilleur mais plus banal et parfois moins cher ?

 

La bonite en zuké noyé sous le myoga…franchement, non. Des trois choix proposés sur le sashimi, le karei pourrait être le meilleur s’il avait muri le temps nécessaire et surtout s’il avait été un très très bon produit.

 

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Ensuite vient le ayu, un poisson d’eau douce qu’on aime dans toutes les régions du Japon où il n’y a pas de mer. Chair blanche très délicate, un peu trop à mon goût. Je préfère de loin le maquereau ou la sardine, mais c’est une question de goût personnelle. Bref, le ayu vient carrément enfumer toute la pièce, car il est traditionnellement cuit directement sur le feu et mangé immédiatement. Enorme mise en scène pour deux petits poissons grillés. Ils sont choisis à moins de 16 cm , donc suffisamment petits encore pour être mangés entiers, de la tête jusqu’à la queue. Rien de particulier à signaler. Entre le petit qu’on mange entier ou le plus grand qu’on mange en laissant la tête et les arêtes, je ne vois pas une énorme différence si ce n’est encore une fois, pour faire différent. Pas mauvais, mais c’est un poisson qui n’a jamais suscité en moi un enthousiasme de folie.

 

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L’ormeau, bizarrement sans goût alors que tout le reste de la cuisine est très fortement assaisonné. Texture trop molle mais pas de jus. Très bizarre. Accompagné de petits cubes d’igname je crois, et un autre légume dont je ne me souviens plus. Et sur le côté, une sauce verte que je n’ai pas compris ni retenu.

 

Pour l’instant, rien ne me fait grimper au rideau, et j’ai une grosse impression de « faire pour faire » qui commence à m’énerver un peu. Ceci dit tout est acceptable, bon malgré des assaisonnements plutôt vulgaires.

 

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Par contre, le plat de viande…du bœuf japonais noir (Kuro Wagyu) grillé puis pané et frit…franchement, non.. Avec un œuf mollet qu’on nous dit de bien mélanger pour faire une sauce d’accompagnement au bœuf. L’idée étant que c’est une variante du katsu-don, un plat hyper prolo : gros bol de riz sur lequel on met du porc pané et qu’on couvre d’œuf genre brouillés sucré salé.

 

Mais c’est d’un compliqué ! de l’auto-satisfaction de cuistot qui fait et fait et qui pense faire quelque chose de nouveau. Effectivement c’est nouveau. C’est bien la première fois qu’on me fait bosser au resto pour un Katsu-don. D’abord l’œuf est difficile à bien mélanger car il y a aussi du cresson alénois (je présume pas tout à fait la même espèce mais le même genre de végétal), du daikon, du dashi hyper fort. Impossible d’en faire une sauce et probablement meilleur mangé tout seul. Le wagyu, dont je ne suis pas super fan à la base, trop gras, trop persillé, pas assez de goût de viande, parfait pour quelques rares plats bien précis, mais ici, frit donc ajout de graisse…là on frise l’immangeable. Recommandé pour le touriste qui fait tout Tokyo à pied et qui a vraiment besoin de carburant.

 

Sur le côté pour rafraichir le palais qui en a sacrément besoin, de la pêche blanche japonaise en « gari », c’est-à-dire le gingembre du sushiya. Deux gros morceaux de pêche avec du gingembre assez piquant pour relever, et sucré-salé-vinaigré.

 

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Pour finir, la grosse anguille qui semble être à la mode dans les restos un peu huppés de Tokyo (on nous l’a servi dans un 3 étoiles il y a 2 jours), très grillée côté peau, croustillante, bien épaisse. À part les indications qu’on nous donne comme quoi il faut retourner le morceau pour que la peau soit en contact avec le palais, ce qui a été impossible à réaliser dans mon cas, c’est meilleur que le reste du repas car plus simple. Même si là encore, on a l’impression d’être à Asakusa autrefois, le quartier populaire par excellence où tous les goûts étaient super salés et sucrés.

 

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Le riz entièrement recouvert d’édamamé, avec la soupe miso et les tsukémono. Je m’attends à me régaler car après tout ça, un peu de calme me ferait du bien. Mais non, les édamamés (soja vert) sont salés, trop salés, du coup, ça fait penser aux édamamé qu’on sert à l’apéro dans les boui boui japonais pas chers pour faire boire les clients. Et le goût naturel, doux de la fève est perdu…

 

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Les tsukemono sur la même lignée, c’est-à-dire qu’on en fait trop sans résultat.

 

Je sais que je donne l’impression d’être une vieille grincheuse, ultra conservatrice, anti nouveauté. Ce n’est pas ça (enfin presque) mais la nouveauté pour la nouveauté, ça ne sert à rien. Si on s’attaque aux grands classiques, si on fait du néo classique, il faut assurer. C’est-à-dire comprendre pourquoi c’est bon, et aller au délà. C’est un exercice extrêmement difficile et qui ne peut pas être fait qu’en surface.

 

Pour moi, Ryugin, c’est que de la gueule et beaucoup d’auto-satisfaction. Mais je peux comprendre que ce soit le seul restaurant japonais cité au San Pellegrino car tout est trop assaisonné, or, c’est difficile pour beaucoup de non-Japonais d’apprécier la fadeur (autrement dit les goûts extrêmement subtils) de la cuisine japonaise. Les non-Japonais aiment le sucré salé, la sauce soja et le sucre et/ou le mirin. Comme les enfants, car c’est une question d’expérience, aussi. Et comme tout est mise en scène, ça le fait quoi !

 

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Ah oui, j’oubliais le dessert, ce qu’on appelle dans un menu kaiseki le mizu-mono, littéralement la « chose de l’eau ». On comprend bien que ce n’est pas un millefeuille ni même une boulette d’azuki. C’est généralement un fruit, frais, froid en été. Ici, deux boules de raisin. Du raisin japonais : on aime ou on n’aime pas les fruits japonais qui sont très « lisses », c’est-à-dire sucré, jamais acide, aucune agressivité en bien ou en mal. Une boule de raisin à -196°C, l’autre à 99°C. C’était écrit sur le menu. Je suis nulle en physique je n’ai rien compris. Heureusement qu’on m’explique que c’est de l’azote liquide. On nous dit de commencer par celui de gauche qui fond et pétille en bouche comme un soda de raisin. Rigolo. Pas mauvais. L’autre est une boule de sucre avec je ne sais plus quoi à l’intérieur, et on vous verse de la confiture de myrtilles chaude dessus. Bof. La confiture n’est pas dans la tradition japonaise. C’est relativement nouveau. On a encore beaucoup de chemin à faire avant de savoir faire une bonne confiture…

 

La “crème caramel de Roppongi”, un grand classique, qui était très bonne. Crémeuse, riche, comme une crème caramel en France mais en beaucoup plus lisse et onctueuse, plus légère aussi.

 

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Et dire que j’y suis allée parce que la rédac en chef d’un magazine culinaire hyper respecté au Japon me l’avait conseillé. Entre le San Pellegrino et la rédac en chef…ce n’est pas possible, ça doit être moi…(mais je n’étais certainement pas la seule à notre table à trouver ça plutôt bof).