Mon plus beau souvenir de Cup Noodle

(Attention : ce billet ne concerne pas la cuisine. Je raconte juste un souvenir de voyage)

« 5 mars 2015. [105ème anniversaire de la naissance de] Momofuku ANDÔ, l’homme qui a fondé la société NISSIN, et qui a révolutionné l’alimentation japonaise (et mondiale) en inventant le fast food à la japonaise ; le « instant ramen », ce ramen déshydraté en sachet qui se prépare en 3mn. Et l’homme qui a inventé le célébrissime Cup Noodle ! »

 

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© CCFJT

 

En voyant cette publication sur la page Facebook du Centre Culturel Franco-Japonais de Toulouse, j’ai été envahie par une vague de souvenirs.

C’était il y a très longtemps.

J’étais encore petite quand ma mère et moi avons pris le train de Paris à Tokyo.

Le voyage a duré deux mois.

 

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Ma mère a raconté ce voyage dans un livre publié en japonais intitulé « Sept frontières ». Chapitre 1 « Paris Gare de l’Est 23 heures ». C’est moi, assise sur nos valises.

 

Nous avons pris un train de Paris à Prague. C’était pendant les vacances d’été mais il ne faisait pas si chaud que ça.

Pour la première fois, j’ai mangé plein de saucisses « de l’Est .» Elles étaient très différentes de celles qu’il y avait à Paris.

Ma mère m’a acheté des boucles d’oreilles en cristal de Bohême. Elles étaient bleues, en forme de fleur, et c’était des boucles pour adulte, pas pour petite fille.

Mais l’année d’après, nous avons été cambriolées et elles ont disparues.

Puis nous avons pris un autre train de Prague à Berlin Est, où ma mère s’est fait interpeller car elle photographiait un panneau sur le Mur avec l’inscription on ne peut plus claire : « Photographie interdite »

Un très jeune soldat muni d’une mitraillette nous a emmenées au poste. L’officier de service nous a relâchées.

Nous sommes allées au théâtre voir Hamlet en allemand. Il était costaud et barbu et ne ressemblait pas à l’image que je m’étais faite de Hamlet.

De Berlin Est, je crois bien que nous sommes allées à Varsovie. Toujours en train. Nous avons visité la maison de Chopin.

De Varsovie, nous avons pris encore un train pour Moscou.

Notre hôtel, grandiose et un peu poussiéreux, n’était pas loin de la Place Rouge. Nous avons visité le mausolée de Lénine. C’était la première fois que je voyais un mort.

J’étais fascinée par la cathédrale de Basile-le-Bienheureux. J’étais persuadée que c’était un ensemble de sucres d’orge.

Il y avait du caviar dans un restaurant chic mais désert, au dernier étage de l’hôtel.

Le soir, après le dîner, ma mère a acheté du caviar de contrebande (aujourd’hui on dirait au black) au garçon d’étage qui en proposait contre des dollars américains.

20 dollars pour une énorme boite que nous avons mangée à la cuillère, en pyjamas.

J’avais bien compris qu’il ne fallait pas en parler, mais maintenant, je pense que je peux.

Ce caviar était bien meilleur que celui du restaurant. Je ne m’en souviens plus vraiment, mais il me semble que ce soir là, j’ai découvert le Beluga.

C’était vraiment très bon.

À Moscou nous avons pris des tramways dont les conductrices étaient fortes et ne souriaient jamais.

D’ailleurs aucun Russe n’a jamais souri.

Je n’ai pas eu l’impression qu’ils étaient très heureux.

Puis nous avons pris un train de Moscou de Irkoutsk.

C’était le Transsibérien.

Une guide qui parlait parfaitement le japonais nous a accueilli à la gare. Elle était Asiatique, d’une république de l’Est de l’URSS. Elle aurait pu être Japonaise sauf qu’elle ne souriait jamais elle non plus et semblait toujours très tendue.

Nous n’avions pas le droit de sortir de l’hôtel sans notre guide. En fait, elle nous surveillait, quoi.

Dans une grosse voiture noire avec un chauffeur, elle nous a emmenées voir des statues de Lénine et des immeubles imposants et très anguleux. Un peu comme le Havre ou Brest.

Quand ma mère lui a demandé de nous emmener dans des bistrots populaires, elle nous a répondu que cela n’existait pas.

Nous sommes allées au théâtre voir Spartacus en russe. J’en ai gardé un très mauvais souvenir et même maintenant je n’ai pas envie de voir Spartacus.

Puis nous avons repris le train.

À l’époque le Transsibérien servait à transporter des personnes et sans doute de la marchandise. C’était très sale. La locomotive crachait une fumée très noire.

Tous les jours, j’essuyais l’extérieur de la vitre de notre compartiment pour voir la vue.

 

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Il était très long et très lent, ce train…

 

Il y avait bien un wagon restaurant mais tous les jours, il y avait un plat de moins sur la carte. Au bout de 3 jours, il n’y avait plus que des œufs durs.

Matin midi et soir, des œufs durs. C’est peut-être pour cela que je n’aime pas beaucoup cela.

Nous étions 4 par compartiment, dans un wagon réservé aux étrangers. Nous partagions le nôtre avec une maman suédoise et sa fille qui avait un an de plus que moi.

Elles étaient très blondes.

Un jour, le train s’est arrêté à une gare et sur le quai, il y avait toute une bande de jeunes soldats qui mangeaient des glaces assis sur leurs sacs. Ma mère, qui a trouvé ça mignon, a pris une photo par la fenêtre.

Tout d’un coup, quelqu’un a crié. Ma mère a vite tout fermé mais on entendait déjà des grosses bottes dans le couloir du wagon puis des coups violents sur notre porte.

C’était des officiers qui n’avaient pas l’air content du tout. Celui qui avait l’air le plus important a crié quelque chose en russe puis tendu la main.

Il n’y avait aucun doute qu’il voulait l’appareil photo. Ma mère a bien essayé de faire l’innocente mais ça n’a pas marché.

Il en a retiré la pellicule. Les photos étaient mortes mais nous étions bien contentes qu’il nous laisse partir sans nous retenir dans ce trou paumé.

Quand le train est reparti, la maman suédoise et ma mère ont bien ri. Elles devaient être aussi fantaisiste et aventureuse l’une que l’autre car nous avons quand même eu très peur.

La petite fille et moi jouions souvent aux cartes mais n’avions aucune langue en commun, alors nous ne nous sommes pas vraiment parlées.

Je n’ai que deux souvenirs de nourriture dans le Transsibérien.

 

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La légende sous la photo dit que les femmes vendaient des légumes dans les gares…mais je ne me souviens que des myrtilles.

 

Le premier est celui d’une femme qui était habillée comme dans les films, avec un foulard à fleurs sur la tête, emmitouflée dans un manteau, une grosse écharpe et des gants sans doigts.

Elle vendait des myrtilles dans des cornets de papier journal.

C’était bon ! Doux et acide, avec un sucre très lointain, qu’on cherchait un peu désespérément.

Le papier journal était tout teinté du jus des fruits.

Le deuxième souvenir est celui du Cup Noodle.

Mon grand-père m’en avait envoyé car c’était nouveau et très en vogue.

Un « Cup » dans lequel il suffisait de verser de l’eau bouillante pour manger une soupe de nouilles. Magique !

Il y avait un samovar au bout de chaque wagon.

C’était ça la Russie ou plutôt l’URSS. Que des œufs durs à manger mais du thé à volonté (à condition d’avoir ses propres feuilles de thé).

J’ai adoré la Sibérie. De l’eau chaude – vraiment chaude – et des Cup Noodle.

Ma mère n’aimait pas trop cela alors je les ai tous mangés.

Des kilomètres et des kilomètres de bouleaux. Les forêts se succédaient, sans interruption. Des troncs d’arbres blancs pendant des jours entiers.

J’ai passé des heures à ne regarder que cela par la vitre du compartiment, en mangeant mes Cup Noodle. Magique…

Il y avait comme un décalage entre l’aspect féérique mais glacial de la forêt interminable et le contenu chaud et très pop de la tasse en polystyrène. Des cubes jaunes essaient de se faire passer pour des bouts de tamago. Ils avaient une texture littéralement d’éponge sous la dent et avait un goût douceureux. De toutes petites crevettes, complètement recroquevillées, qui n’avaient plus vraiment un goût de crevette et qui avaient une texture de crevette séchée revenue dans de l’eau. Des petits bouts bruns, à la texture de viande hachée prémachée et pressée en mini-boulettes, au goût de graisse. Des nouilles, très molles mais crépues. Et bien sûr le bouillon qui était assez riche, gras et salé.

Le tout étant tellement chaud qu’il fallait souffler dessus.

Sucré, salé, chaud, gras. Un délice… Probablement que c’est comme la fraise Tagada ou le bonbon au coca-cola. Ce n’est pas bon mais cela parait bon quand on est jeune.

Et en pleine Sibérie, comparé à des œufs durs qui devaient dater du départ de Moscou, c’était divin.

Enfin, nous sommes arrivées à Nakhodka, une ville portuaire tout à l’Est de l’URSS.

De là, nous avons pris un bateau qui allait à Yokohama. Les Suédoises aussi.

Tout d’un coup, l’été est arrivé. Il y avait une piscine à bord – en y repensant maintenant, c’est vraiment bizarre – et la petite fille qui savait très bien nager m’a donné des complexes car moi je ne savais pas nager du tout.

Enfin, un dernier train très court  pour Tokyo.

C’était il y a très très longtemps,  mais je m’en souviens encore très bien.

J’ai gardé des images très claires qui sans doute ne disparaitront jamais.

C’était un des plus beaux voyages de ma vie.

Le train, c’est beaucoup mieux que l’avion.

Je ne suis jamais retournée en Russie depuis. Dans mon esprit la Russie a gardé un goût frais et acidulé de myrtilles, chaud et salé de glutamate monosodique.

P. S. j’ai voulu reprendre le Transsibérien qui est devenu un train d’agrément coûteux. Plus personne aujourd’hui ne se déplace en train et c’est bien dommage.