Saint-Valentin. Astrance.

Combien de fois faudra-t-il donc que je me trompe à l’Astrance?

La première fois, c’était en 2007. J’ai dit à Christophe Rohat « l’Astrance n’est pas un endroit pour les jeunes. Il leur faut apprendre les bonnes bases, pas les singularités de Pascal. Ils ne pourront jamais devenir chef, s’ils sont formés ici. »

Ce fut la première de mes déclarations totalement erronées, à l’Astrance. Car évidemment, aucun autre chef n’a autant de disciples. Entre Adeline Grattard, Magnus Nilsson, Tatiana Lehva, Jehan Colson, Guillaume Foucault, Ayako Ota, Shuzo Kishida, sans même compter ceux qui y ont passé moins de temps, la liste des « petits » de l’Astrance est très, très longue. À 43 ans Pascal Barbot est le chef qui a formé le plus grand nombre de chefs.

Me suis-je trompée, à l’Astrance ! Comme la fois où j’ai déclaré que Pascal perdra sa créativité sous peu (c’était en 2008). Où quand on m’a servi du veau alors que j’avais dit fermement et définitivement que je n’aime pas ça.

Et encore samedi dernier, 14 février 2015.

Je me suis encore plantée lamentablement.

Cela faisait quelques mois que je n’y étais pas allée. Après avoir fait un des livres les plus prenants de ma vie (cf « Astrance – Livre de cuisine » Éd. du Chêne) et vécu des centaines de repas, des heures d’intense conversation avec Pascal Barbot, parsemées d’heureux moments de détente avec Christophe Rohat et l’équipe pour préserver ma santé mentale, l’Astrance me sortait un peu par les oreilles.

Mais chut, que cela reste entre nous.

Car dans le monde de la cuisine, ce petit restaurant est tellement vénéré, son chef tellement idolatré que je risque de me faire lyncher par ses fans cuisiniers furieux (et ses nombreux « petits »).

C’est clair qu’après y avoir mangé au moins deux fois par mois pendant 3 ans, j’étais un peu blasée.

Je n’ai jamais su si c’était mon ras-le-bol ou si c’était le chef, mais j’avais également trouvé que, passé 40 ans, il s’était assagi.

Finies, les expériences folles, où il faisait sécher du kombu usagé dans un coin du bureau « pour voir. » Aboutis, les plats expérimentaux où un bout de poulpe surgissait de nulle part pour compléter un légume improbable. Passée, l’époque où les herbes, les fleurs, les épices coloraient à profusion les assiettes, dans lesquelles on voyageait partout dans le globe – où l’Inde rencontrait le Maroc parce que Pascal avait découvert un achard à la Réunion ou un curry thaïlandais. Il y a une logique qui dépasse parfois notre entendement…n’est ce pas le propre de tout génie ?

Tournée, la page du menu unique, qui commence déjà à nous lasser un peu…Lorsque j’ai découvert l’Astrance en 2007, cela m’avait paru tellement frais! Le monde est frivole et nous sommes très infidèles, le menu unique nous semble … fade? dépassé?

Fini, le fun, quoi.

Mais même pour la plus blasée des clientes, un déjeuner « Saint-Valentin à la Truffe Noire » à l’Astrance ne se refuse pas.

Je ne m’attendais tout de même pas à être surprise. J’y allais par politesse, courtoisie…tout sauf l’expectative.

Ci-dessous, le déroulé du menu, photos à l’appui. Mais la conclusion d’abord:

C’était GÉNIAL.

Juste EXQUIS.

Un RÉGAL? Non, un banquet des DIEUX.

La truffe, un produit que Pascal ne maitrise pas? FOUTAISE.

Les produits d’hiver, hors du registre de fleurs, d’herbes, de fraicheur et de soleil que Pascal exprime si bien? Bah, et ALORS?

Pascal Barbot, le chef 3 étoiles le plus virtuose aujourd’hui, s’est effectivement assagi.

Et bien oui, nous vieillissons tous. Le gentil petit garçon doté d’un veritable don est devenu grand. Très grand.  Il a acquis une maturité, une ampleur, une justesse et une intelligence qui lui sont venues avec le temps, l’expérience et une curiosité débordante.

Peut-être pas Escoffier à la lettre. Mais finalement, celui-ci est incontournable. En faisant mille fois le tour du globe, Pascal est arrivé au même résultat. Une grande cuisine française qui rayonne dans le monde – ne soyons pas petits – dans l’univers, voyons.

Certes, les grandes « inventions » de l’Astrance, souvent parties d’une idée loufoque ou carrément évidente, étaient là. Comme le Croque-Astrance, tellement bon et tellement évident.

À l’oeil, les plats sont moins surprenants qu’avant. Il y a moins de produits que l’on n’arrive absolument pas à identifier, aussi parce que les produits font trop rapidement le tour des cuisines aujourd’hui grâce à Internet. Comme ce fut le cas du citron caviar, de la betterave chioggia, de l’herbe à huitre, du kombu confit, du condiment de curry noir, de la pata negra et j’en passe, que Pascal Barbot fut l’un des premiers – sinon LE premier – à servir.

Et Pascal a été copié, émulé à travers le monde. Alors tout donne une impression de déjà vu. Son style est reconnaissable à trois mille lieux.

Ce n’est plus la quenelle de glace toute blanche dans un bol tout blanc qui nous surprendra aujourd’hui.

Mais alors, en bouche…

Les saveurs se sont affinées. Il n’y a plus rien de trop.

Chaque grain, chaque goutte, chaque morceau, a sa raison d’être, à sa juste quantité. Saveurs choisies, précises et justes.

Uniques.

Et la profusion de cœurs en ce déjeuner pas romantique pour un rond en tablées d’habitués de 8, était ma foi fort sympathique.

Voyez plutôt.

croque astrance
Le désormais célèbre Croque-Astrance. Du saint-nectaire, du pays du chef, et de la truffe noire.

 

chablis
Le vin blanc.

 

tartare de saint jacques truffe
Tartare de Saint-Jacques et truffe. Avec un cœur tout noir.

 

Pascal n’avait-il pas dit qu’il n’aime pas la truffe avec la Saint-Jacques ? (cf. « Astrance – Livre de cuisine » page 272 ! )

Mais voilà. Tout est dans la proportion. Car ces dés de Saint-Jacques et de truffe sont savamment « calculés » pour offrir le bon degré de croquant, un iode doux pour l’un, du « terreux » pour l’autre, liés par le bouillon qui va arriver sous peu.

C’est en cela que je dis qu’il a mûri, le chef. Car l’expérience lui a appris ce que les quelques grands maîtres sushi transmettent: l’épaisseur qui donne la mâche qui va bien, transformant ainsi le goût du cru. Une cuisine du cru qui se fait d’abord au couteau, encore mal maitrisée en Occident.

 

avec le bouillon
Avec le bouillon.

 

Un bouillon de crustacés, qui pourrait se boire tout seul dans une tasse pendant les longues nuits d’hiver. Réconfortant, chaleureux, savoureux…bon !

En bouche, les dés de Saint-Jacques et de truffe se délient instantanément.

Cela me fait penser à une boulette de riz d’un sushi extrêmement bien fait, où chaque grain est indépendant mais fait partie d’un tout.

 

brioche a la truffe
La brioche à la truffe

 

Œuvre de Pascal Barbot et de Jean-Luc Poujauran.

Une pure merveille…

J’en ai mangé trois…

 

brioche
La croûte…un rêve…

 

À croquer à pleines dents sans beurre ni rien.

Le croustillant doré, puis le croquant parfumé de la truffe en gros morceaux.

Divin. Irrésistible.

 

legine
Légine, poireaux et truffe,

 

Avec un brin d’astina cress qui n’est pas que de la déco.

Il apporte un goût anisé surprenant de puissance.

Le jamon iberico contribue aussi à l’équilibre du plat, avec du sel et de l’umami.

 

legine detail
Belle cuisson à la vapeur.

 

La légine semble être le dernier produit à la mode à Paris, je l’ai déjà vu dans 3 restaurants.

Elle arrive congelée des îles Kerguelen. Elle est commercialisée en France par Qwehli.

C’est un poisson qu’on connait bien au Japon, que l’on apprécie moyennement car on le juge un tantinet grossier.

Mais cuisiné ainsi, avec sa chair douce et uniformément grasse, il est vraiment très, très, bon.

 

celeri parmesan truffe
Céleri-parmesan-truffe et un cœur blanc.

 

Grand classique de l’Astrance que je mangerais par bidons entiers.

Ce cher Auvergnat aurait-il réutilisé les chutes des truffes noires dont il a déjà découpé les cœurs du plat précédent ?

Ben oui ! Ce serait bête de les jeter tout de même. Sacré Pascal ! Culotté et très très efficace.

 

cochon
Cochon de lait, salsifis sauvages et roquette.

 

Avec de la truffe un peu partout il me semble.

Une quenelle de condiment corsé, je ne me souviens plus ce que c’est, mais cela doit être un affreux mélange d’un tas de choses…trop bonnes !

 

avec la sauce
Avec le jus?

 

Ah non, c’est dans le jus qu’il y a de la truffe.

Jus de viande avec du chorizo et d’autres choses…Pourquoi se simplifier la vie en ne mettant que du melanosporum ?

 

cote rotie
Le vin rouge terrifiant, accord parfait avec le cochon mais aussi avec tout ce qui suivra.

 

gigot du cochon
Le gigot du cochon, à manger à la cuillère avec le condiment et le jus au fond du bol.

 

Tralala ! Moi, j’ai eu du rab de cochon !

Qu’il m’a fallu partager avec mes compagnons de table…

Mon plus gros défaut est de ne pas avoir le courage de tout manger toute seule.

 

betterave en coeur
Soudain, le cœur est rouge…à l’emporte pièce dans une betterave. Avec de la truffe émincée sur le côté. Tout ça pour ça ??

 

creme de betterave
Et bien non, on vient me mettre une cuillerée de crème rouge par-dessus. Ça ne ressemble à rien…

 

pb et jl poujauran
Oh ! Le chef en personne vient nous servir sa gamelle ! Avec Jean-Luc Poujauran, fournisseur de pain depuis toujours, à qui on doit un énorme merci pour la brioche aux truffes, trop bonne.

 

Quand il veut, il m’en livre pour mon p’tit déj…de la brioche aux truffes.

Ils étaient bien contents de se voir. C’était très mignon.

 

risotto
Le risotto betterave – truffe – groseille.

 

Chef m’a servi le risotto.

Trois couches donc: la betterave en cœur, la crème de betterave, et le riz.

Avec de la poudre de groseille bien acidulée.

Ce n’est toujours pas que de la déco…Ce risotto est absolument génial.

Crémeux, fondant, aux goûts et parfums terreux mais doux, de betterave et de truffe, relevés par l’acidité de la groseille.

 

nems celeri
Nem de céleri-branche, pomme de terre. Croquant et craquant ! Avec beaucoup de fraicheur.

 

pigeon
Pigeon, abats confits sur toast, tranche de truffe noire.

 

Adorable pigeon tout rouge tout juteux. Avec sa rôtie dont on ne fait qu’une bouchée.

Admirez cette chair, cette cuisson !

 

avec la sauce
Avec la sauce, c’est encore mieux

 

Mais quelle cuisson ! Quelle cuisson !

De la soie…ou le véritable sens de l’expression « comme dans du beurre. »

Et voilà l’autre signe de maturité du chef. La viande, qu’il manipulait moins bien avant, est devenue son point fort au fil du temps.

Ce pigeon était meilleur que tout le gibier que j’ai goûté cet hiver. À la fois plus « viandard » et plus raffiné, plus goûteux dans sa chair. Nul besoin de sauce ni condiment.

Je n’ai jamais rencontré un tel pigeon. J’en suis encore stupéfaite, sans souffle. Incroyable texture.

J’en re-veux…

 

agneau

 

Youpi, j’ai du rab !

Un petit carré d’agneau de lait que je mange sauvagement avec mes doigts.

Mes compagnons de table sont repus, ils ne veulent même pas partager… Hourrah ! Que la vie est BELLE !!

 

comte truffe
Comté millésimé et truffe noire. À ce stade, je n’ai plus très faim…mais ça se mange sans faim. Délicats « fingers » tout en puissance.

 

glace pdt
Une glace de truffe noire dans une fine purée de pomme de terre. Délicieusement froid, tout doux.

 

tartelette banane
La tartelette de chocolat, sarrasin. Au cœur, une tranche de banane juste confite.

 

C’est Pascal qui fait les desserts maintenant et il faut avouer qu’il y a pire, comme pâtissier.

 

mystere
Mystère…

 

La fameuse devinette de l’Astrance, aujourd’hui pour le deuxième dessert.

Ce n’est pas une boule de sucre mais plutôt une sorte de glace au chocolat.

À l’intérieur, une crème verte.

Tout le monde goûte.

Ma voisine de table s’exclame: « C’est de la pistache ! »

Sa fille, avec tout le dédain de ses quinze ans, dit: « Mais Maman, ce n’est pas parce que c’est vert que c’est forcément de la pistache… »

Et oui, les jeunes ont souvent raison. Ce n’était pas de la pistache…

Finalement, nous avons deviné. Fastoche ! J’ai réclamé un agneau entier en récompense, mais je ne l’ai pas eu.

(La solution peut-être un autre jour…peut-être pas…)

 

sherry
Le vin du dessert. Succulent.

 

fruits
Les fruits (dans le plat que j’ai ramené du Japon, cadeau de Monsieur Mizutani à l’Astrance).

 

oeuf de poule
Le lait de poule au jasmin…

 

bouquet
Et pour terminer, un joli bouquet pour ces dames. Ah ! Qu’il est bon d’être une femme dans la vie !

 

astrance saint valentin
Gros bisous à l’Astrance aussi !

 

Astrance
4 Rue Beethoven
75016 Paris
Tél +33 1 40 50 84 40
Fermé samedi, dimanche, lundi
Réservations par téléphone uniquement