Il y a désormais moins de tables et moins de couverts au Gabriel, le restaurant gastronomique de La Réserve Paris où officie le chef Jérôme Banctel. Il ferme aussi le weekend. Cela permet plus de concentration et d’attention, à la fois en cuisine et en salle, dans ce lieu qui était déjà bien aiguisé dans le monde d’avant (le Covid). Avec 14 tables en moyenne et un service qui a rajeuni, il y règne aujourd’hui une belle énergie, vive mais intimiste.
Avec deux étoiles au Michelin depuis 2017, Jérôme Banctel est fin prêt pour la troisième.
[pmpro_account]
Un voyage de questionnements
La cuisine de Jérôme Banctel se caractérise par une certaine introspection acharnée. Une remise en question perpétuelle et l’obsession de la perfection. Le voyage est mis en avant – même s’il semble tenir tout autant de l’exploration de soi que celle de contrées étranges. Un voyage de questionnements.
« Où puis-je aller? »
« Que puis-je faire de plus, de moins, de différent? »
« Qu’y a-t-il sur cette planète que je peux utiliser et faire mien? »
« Comment puis-je mettre au service de la cuisine ma technique indéniable, mon talent certain, mes idées qui viennent si vite que je ne puis toutes les réaliser? »
Des saveurs en matrioshka
Beaucoup de goûts, profonds, composés, concentrés et réduits à leurs essences. Toujours construits, complexes, superposés, parfois intériorisés comme des matriochkas de saveurs, parfois exubérants en acidités et douceurs.
Les cinq, six, dix ou trente saveurs de chaque assiette sont nettes, clairement dessinées mais également cachées avec subtilité, pudeur et jeu. Car le chef reste un gamin dans l’âme et aime jouer avec le client qui essaie d’éplucher toutes les couches de découvertes. Il veut surprendre comme si chaque menu devait être un sapin de Noël sous lequel seraient cachées des boites inattendues de plaisir. Chaque instant au Gabriel est non seulement un voyage intellectuel dans le temps et l’espace mais aussi et surtout un plaisir d’une exquise sensualité.
Pour commencer
Le « Mushroom burger » et l’artichaut au vinaigre de sakura, tous deux des plats signatures qui se dégustent toujours avec autant de plaisir que la première fois. Tous deux jouent sur l’umami de l’acidité, qui gratouille et stimule gentiment le palais.
Pour continuer
Magnifiques plats chacun plus surprenant que l’autre. Un quartier de spirale de pommes de terre et algue nori, croustillant, croquant, marin et doux, accompagné d’une sauce-condiment qui se croque et glisse dans la gorge, constellation de mollusques crus et cuits. J’adore.
Le homard qui révèle une tendre sucrosité cuit comme il l’est à la perfection au binchôtan, le charbon japonais. Une mâche à la fois ferme et fondante, juteuse et sucrée, tendre et voluptueuse. Avec un condiment comme une sauce tout en douceur hivernale. Délicatement épicé par le piment du râyu qui n’est autre qu’une huile de piment d’origine chinoise très utilisée au Japon. Un régal.
Un plat fou dingo, l’anguille en transparence de lard de Colonnata, avec son poireau frit on ne sait pas trop comment pour acquérir cette forme rigolotte qui donnerait follement envie de le prendre dans la main et de le lancer en l’air pour voir s’il flotte. Jouer, déguster, se pâmer.
La viande enfin, colvert et radis, avec un jus dont le chef nous a obligées à deviner la composition. Après avoir ébauché les plus folles hypothèses, il s’avère que cette sauce est encore plus improbable qu’imaginée – il y a TOUT dedans. Impossible à deviner… Rien d’exotique et pourtant la rencontre des umami de la planète… Superbe chair rouge sang nappée de cette sauce sombre, le terreux du radis. Brutale, la cuisine carnivore ? C’est ce qui la rend bonne.
Pour conclure
Extrême fraîcheur et légèreté avec ce dessert qui reprend la meringue ultra-légère de la fève (ancien dessert signature). Un bizarre accord avec la salicorne et surtout la feuille d’huître mais qui marche bigrement bien. Tout dans ce dessert tend vers le rafraîchissement du palais, bienvenu après tous ces plats riches et généreux.
En clôture. Très très jolie assiette sur le thème de la cabosse. Il y en a pour toutes les sensations. Du froid, du moins froid, du crémeux, du mousseux, du croustillant et de l’aérien… Superbe et même à la fin de toutes ces goinfreries, ça passe tout seul, quel prodige ?
Arrive encore le chariot de mignardises… Qui s’ouvre littéralement tout illuminé. Surprise !
Les vins
Jolie sélection par Gaëtan Lacoste dans laquelle il y avait aussi du saké Dassai avec l’artichaut, et un Tokaji avec le dessert.
Le Gabriel
La Réserve, Paris – Hôtel et spa
42 avenue Gabriel
75008 Paris
Tél: 01 58 36 60 60
Site web