Accents – Paris Bourse

Petit post rapide. Je sors d’un déjeuner qui fut des plus agréables. En partie parce que mon compagnon de table était érudit, intelligent, connaisseur et trop chou. En partie parce que la cuisine était percutante, jeune et très bonne. Que vouloir de plus de la vie?

Bistronomie ou gastronomie?

Nous avons déjeuné chez Accents, un restaurant qui pourrait aussi bien appartenir au registre de la bistronomie comme à celui de la gastronomie. Bistronomiques, les assiettes colorées, l’absence de nappe et les serveurs sans veste. Gastronomique, la cuisine, tout simplement. Il y a de plus en plus de restaurants qui servent ainsi une belle cuisine fouillée et chiadée sur des assiettes râpeuses.

Beurre fumé maison aux feuilles de cerisier. J’ai adoré.
Le pain de la maison Kayser est servi en très grosses tranches. J’aime bien l’idée qui sent la gourmandise à plein nez.

Le menu déjeuner composé d’une entrée, d’un plat et d’un dessert est à 39€. Les plats sont à choisir dans le menu imprimé sur un papier individuel Covid oblige. Mon compagnon de table saute sur le pâté en croûte et le colvert. Ah! Du colvert! Ça sent l’automne même si l’été indien joue les prolongations. Le choix s’impose. Mais pour l’entrée je préfère opter pour la sardine car celle-ci est rare dans les restaurants et « l’arête fermentée » m’interpelle. Quèsaco?

Le menu du 18 septembre 2020.

L’amuse-bouche

Chou-fleur et? Je n’ai pas compris ce qu’était la pâte sur le côté.

Un bol de crème de chou-fleur… Qui détonne par son amertume fumée. Ce chef n’a pas froid aux yeux et attaque, déstabilise dès la première bouchée. C’est très intéressant car il y a une prise de risque assumée dans ce bol à l’apparence si neutre. Comme si quelqu’un nous guettait à un coin de rue pour voir si nous allions encaisser. Relevons le défi.

La sardine

La sardine levée en deux fins filets est presque crue… ou pas? Le chef Romain Mahi m’explique après le repas qu’elle est marinée dans du garum (sauce poissons) fait maison, du sel et du sucre, puis passée au chalumeau juste côté peau. Voici donc l’explication de ce goût légèrement fumé, corsé mais agréable. Ici aussi une grosse prise de risque car ce plat est très poissonneux, accentué par la présence d’œufs de poisson (ce n’est pas du caviar, c’est plus pétillant et plus fort).

Normalement, et traditionnellement, on évite le « poissonneux » dans la cuisine française. C’est une des raisons pour laquelle la sardine, le maquereau, le chinchard, le hareng et la bonite – tous ces poissons « bleus » – ne sont pas prisés dans la grande gastronomie. Mais ici, le côté poissonneux de la sardine est accentué, voire carrément mis en avant. Et ça marche ! Très très bien, grâce à une purée d’aubergine cachée en dessous, qui apporte de la douceur sans sucre, ainsi que le lait ribot qui apporte son acidité ronde et grasse. Énormément d’umami de toutes sortes dans ce plat à l’apparence chaotique.

Sardine bretonne, arête fermentée, lait ribot, aubergine brûlée.

La fameuse arête fermentée est littéralement cela. Soigneusement nettoyée, elle est mise à fermenter pendant un an dans du garum. Puis elle est passée au four à 85°C pendant quelques minutes. Je l’ai prise avec les doigts et mangée comme un snack. C’est très très bon, et me rappelle les arêtes que l’on fait frire dans la cuisine japonaise pour accompagner le saké.

Il me semble d’ailleurs détecter un air du Japon dans cette cuisine… plus qu’un air. Un goût prononcé, des saveurs familières. La patronne et pâtissière de la maison est Ayuki Sugiyama, japonaise. Serait-ce son influence?

Le pâté en croûte

Tous les autres clients du restaurant dont beaucoup d’habitués avaient l’air de prendre le pâté en croûte… Je l’ai vu passer au moins 5 fois. Du coup, j’ai été tentée et l’ai demandé en plus.

Pâté en croûte de canette, pintade, foie gras, hollandaise sauge.

Le pâté en croûte est de très bonne facture. Avec sa croûte bien beurrée et fondante en bouche, il est viandard, riche aux saveurs solides, avec des morceaux de volailles, foie gras et pistaches intimement mêlés à une farce pas très grasse. La hollandaise à la sauge est bonne. Il y a aussi un jus assez fédérateur qui est agréable. Mais je suis devenue difficile en matière de pâté en croûte… et il m’emballe moins que la sardine qui m’a totalement charmée par son côté coup de poing.

Le colvert

À première vue, ce plat est indéchiffrable. Il est très très compliqué… pour ne pas dire casse-tête. De la seiche? Oui mais où? Ah, ces lamelles translucides posées partout comme du lard de Colonnata. Du colvert? Ah oui, très belle cuisson bien rosée. De la verdure? Des épinards, pensons-nous. De la poire? En très fines tranches séchées. Et une purée de courge au fond pour le réconfort. Sur le côté une tuile de seiche nous dit-on, fine comme une dentelle. Elle me rappelle les grandes galettes fines aux crevettes que nous achetons aux fêtes des temples au Japon en été… sans le goût poissonneux un peu rance de celles-ci. Le chef nous explique qu’elle est simplement faite des parures de seiche mixées à l’eau, étalées et cuites. Sans farine ni rien. Dingue non?

Colvert sauvage, courge, poire, harissa maison, seiche.

Au fur et à mesure que la dégustation avance, le plat se révèle. La complexité devient goût et les saveurs commencent à bien se ranger dans nos têtes, devenant ainsi d’abord acceptables puis tout à fait délicieuses. Un cheminement de la pensée gustative qu’il ferait bon d’explorer un jour…

Tout ça pour dire que c’est absolument délicieux, et l’on prend beaucoup de plaisir a être étonné car si le chef aime provoquer par des accords inédits et un peu fous, la base – les cuissons et les accords de saveurs – est parfaitement maîtrisée.

Le dessert

Dans le dessert on retrouve la même complexité construite – version très peu sucrée. Au fond de mon plat, il y a des cubes extrêmement secs et croustillants, comme une génoise très aérée que l’on aurait oublié une nuit sur le radiateur. C’est très bon, très peu sucré, de la texture, rien que de la texture avec toutefois un parfum presque aérien de fruits rouges. Dessus et autour, une émulsion de betterave (rouge), une glace à la fraise (rouge), des morceaux de framboises (rouges). Une étude en rouge compliquée, faite de couches sur couches de textures, saveurs et parfums mais dont le tout laisse une impression de plaisir et de contentement.

Crème chocolat ruby, émulsion betterave, glace fraise, framboise.

La mignardise

Sympathique douceur de fin, faite de légèreté confort. Totalement aérien, le chiffon-cake à la japonaise, ultra-fine. Pour accompagner, une crème de mûres, fraîche comme tout.

Chiffon cake, crème de mûres.

Un très joli déjeuner qui donne furieusement envie d’essayer le menu dégustation du soir.

Accents
24 rue Feydeau
75002 Paris
Tél: 01 40 39 92 88
https://accents-restaurant.com/