Quand, mi-juin, le chef Christophe Pelé du restaurant Le Clarence m’a dit « on va commencer le takeaway », cela semblait un peu … Décalé? Trop tard? À côté de la plaque? « Chef, le takeaway, c’est pendant que les restos étaient fermés (vous souvenez-vous du confinement ?) qu’il fallait le faire, pas après qu’ils aient tous rouvert » avais-je très fortement envie de répondre.
Un take-away de grande maison
Et puis, la cuisine du Clarence est spontanée, équilibriste, fraiche, immédiate, quirky, avec du caviar, de la poutargue et des cerises à profusion dans un désordre parfaitement délicieux – en un mot, tout ce qui ne marche pas en plat à emporter à réchauffer au micro-onde. Le takeaway du Clarence semblait carrément une mauvaise idée.
Et quand il a renchéri « on va y mettre la bouffe du personnel »… Euh. Comment dire?
S’est ensuivie alors une petite discussion.
« La bouffe du personnel…? Mais enfin, Chef! Qui va acheter ça? Beurk quoi.
– Comment ça, beurk? Mais elle est très bien, la bouffe du personnel! Qu’est-ce que t’as contre la bouffe du personnel?
– Ben… C’est la bouffe du personnel… Ça ne fait pas rêver.
– Eeeeeh! Tu sais que quand ce n’est pas bon, les gars se font tabasser! Elle est très bonne la bouffe du personnel chez nous, on ne sert pas des surgelés! On sert des bons produits, sains, qui donnent la force de travailler… »
La « bouffe » du personnel
C’est vrai que j’avais vu « les gars » – qui se prénomment Simon, Josh, Émilie, etc – après le service de midi, une fois la cuisine nettoyée, rangée, propre, nickel, se pencher très sérieusement sur un plan de travail à s’affairer sur on ne sait pas trop quoi. Il semblerait que dans les cuisines du Clarence, comme dans toutes les cuisines de restaurants, chacun est de corvée à tour de rôle pour préparer la « bouffe du personnel ». Et se fait, non pas littéralement « tabasser », mais vertement critiqué, quand ce n’est pas bon. Nul n’est plus critique qu’un membre de la brigade (je dis ça mais je n’en sais rien, n’ayant jamais été témoin de ces moments intimes).
Mais j’étais très sceptique. Que ce soit le chef Christophe Pelé ou son bras droit Giuliano Sperandio, on les imagine mal faire des bentos tous les jours, et qui voudrait acheter la « bouffe du personnel » aussi bonne soit-elle? De plus, il faut avoir la témérité de (1) commander à l’avance, (2) passer la porte du Clarence, cet hôtel particulier fin XIXe très cossu sur l’avenue Franklin D Roosevelt, (3) dire à l’accueil « je viens chercher mon panier repas » et repartir avec un sac en papier…
Le concept même d’un « take-away Haut-Brion », premier grand cru classé de 1855, dont le fondateur Arnaud de Pontac aurait inventé le vin tel que nous le connaissons aujourd’hui en 1525, à 19€… Ne vous affolez pas, il n’y a pas une bouteille taille mini-bar de Château Haut-Brion dans le take-away du Clarence mais seulement une bouteille d’Evian.
Déçu, hein ?
Alors ce take-away? Surprise! Il est bigrement bien !
Le premier jour
Trompeur car d’apparence simple, très politiquement correct avec couverts biodégradables et récipients en carton. Dans le sac, une des recettes du menu imprimée, à réaliser chez soi si l’on a envie. Et un bon de réduction de 3€ sur l’achat d’une bouteille de Clarendelle à la Cave du Château, le caviste du Domaine qui se trouve à droite en rentrant dans l’hôtel particulier (le restaurant se trouve à gauche).
Salade d’épeautre, œuf poché, courgettes et féta
Gaspacho de tomates et croûtons à l’ail
Forêt noire
Les intitulés de plats au Clarence sont toujours très laconiques. Ils ne s’embêtent pas – ni le lecteur d’ailleurs – avec des appellations à rallonge avec cuissons et marques. Mais la salade d’épeautre est beaucoup plus complexe qu’à la première lecture, grâce à une petite profusion d’ingrédients savamment dosés et une belle vinaigrette dont l’acidité est arrondie par l’œuf poché – l’œuf parfait, avec un blanc moelleux, qui s’ouvre pour laisser couler le jaune terriblement onctueux d’une texture presque grasse. Des herbes qui apportent goût, fraîcheur et parfums. La touche salée, subtile, crémeuse et friable tout à la fois du fromage feta. Et des tas de textures croquantes : courgettes, épeautre, croûtons, chacune à sa façon.
Une tartine grillée accompagne ce mets. Ainsi qu’un gaspacho qui pourrait se boire au bol comme un jus de fruits salé et pimpant.
Le dessert est un moment de pur plaisir, que l’on déguste simplement comme un Danone version (très) luxe. La forêt noire, crémeuse, infiniment légère, est une mousse chocolat et une chantilly sur un biscuit tapi tout au fond, des grosses cerises juteuses à peine cuites, un léger parfum de kirsch et des gros copeaux de chocolat généreux.
Le deuxième jour
Club sandwich épicé aux crevettes
Salade de haricots verts au gwell
Mousse au fromage blanc et myrtilles
Deux bouchées de melon juteux et mûr à point, une tranche de jambon italien? Speck? Quelque chose comme ça. Le sandwich toasté est en réalité frit, croustillant à souhait, un vrai régal tout en rondeur. Dedans, une garniture où l’on sent bien les bouts de crevettes dans un appareil très moelleux. Farce de crevettes ou avec un peu de purée de pommes de terre…? Difficile à dire maintenant que les deux rectangles de sandwich sont avalés, disparus !
Des petites fraises des bois se cachent sous la salade de haricotés verts croquants, enveloppée dans le crémeux très frais du gwell, un ingrédient phare du chef qui l’a déniché chez un tout petit producteur breton. Il s’agit de lait fermenté mais je ne sais pas quelle est la différence avec le lait ribot sinon que le gwell me parait plus crémeux, moins liquide, se rapprochant plus d’un yaourt.
Le dessert quant à lui est doux comme une brise… et tout aussi léger. Les myrtilles devaient être d’une fraîcheur exemplaire avant d’être légèrement confites. Quelques feuilles d’oxalis pour leur acidité toute particulière et des amandes effilochées. Un petit sablé pour accompagner. Simple mais de très bonne facture où la qualité des produits fait la différence, la crème dessert version Clarence – juste exquise.
Un takeaway en progression?
Ces deux takeaway étaient parmi les tout premiers, servis début juillet. Depuis, la formule a pris de l’ampleur et j’ai l’impression qu’elle a beaucoup progressé… Les quelques menus que j’ai vu passer étaient bien alléchants. Et on y sentait bien le caractère cosmopolite de la brigade en cuisine.
Burger végétarien (aubergine comme une escalope milanaise, tomates cœur de bœuf et mozzarella di Bufala)
Salade de sucrine, courgettes et poivrons rôtis
Pavlova au chocolat
Tonkatsu Donburi
Consommé de bœuf et tofu
Charlotte aux fruits de la passion
Spring Rolls de légumes et crevettes
Soupe au lait de coco
Cannoli ricotta-pistache
Poulet à la coréenne
Aubergine au sésame
Brioche perdue
Fish & Chips
Salade de sucrine et concombres
Crumble aux pommes
Cannelloni ricotta épinards
Salade de roquette et bresaola
Poire Belle-Hélène
On me dit que le Fish & Chips a fait un carton… Je ne sais pas vous mais moi, tout ça m’a donné bien envie. J’ai eu l’impression de sentir la joie dans laquelle ces jeunes cuisiniers ont œuvré à concocter des menus accessibles et abordables, comme pour un pique-nique (sous l’œil vigilant du chef, bien sûr). Emporter un petit coin du Clarence dans un sac en papier kraft. C’est maintenant possible.
À commander la veille pour le lendemain. 19€.
Le Clarence
31 Avenue Franklin Delano Roosevelt
75008 Paris
Tél: 01 82 82 10 10
https://www.le-clarence.paris/