Yannick Alléno. Un retour fulgurant

Est-ce une chance d’être allée manger chez Yannick Alléno deux jours avant l’annonce du Michelin? On spécule beaucoup sur la troisième étoile de Yannick, de retour à Paris après deux ans d’absence. Une absence pendant laquelle il ne s’est pas tourné les pouces.

Le voici de retour à Paris chez Ledoyen, rebaptisé « Alléno Paris – Carré des Champs-Élysées. »

J’y suis allée une première fois en novembre, un déjeuner qui ne m’avait pas plus impressionnée que ça. J’ai eu du mal à comprendre la carte, qui commence par les plats principaux pour passer aux entrées, avec en dessous des menus…pourquoi pas, une fois que le maître d’hotel vous a expliqué comment la lire.

Mais je n’ai surtout rien compris aux « extractions » ces fameuses sauces qui m’ont fait penser aux sauces translucides amidonnées, servies avec les poissons dans la cuisine chinoise. J’avais même demandé à Yannick si les sauces étaient épaissies au kuzu. Il n’était pas content.

Ce qui est tellement évident, maintenant que j’y suis retournée, deux mois plus tard. Le temps peut-être que le chef prennent ses marques, que la brigade s’habitue.

Mille excuses au chef et à sa brigade, d’avoir pensé que c’était si simple.

Parce que les extractions sont vachement plus compliquées que ça. C’est très, très intelligent et réfléchi. Un énorme travail intellectuel et culinaire.

Yannick m’a expliqué. Voici ce que j’ai retenu:

« L’homme a inventé le feu et ainsi, a obtenu des protéines animales en les cuisant. Puis rien n’a pas vraiment changé jusqu’en 1990 quand on a maitrisé les cuissons. Après, on est parti dans les condiments, les siphons, les gélifications. On a oublié la sauce. Le poisson était parfaitement cuit mais on continuait à mettre une sauce approximative dessus.

Ce que je fais, c’est redonner la sauce à la cuisine française.

Avant, on mélangeait les produits dans une casserole pour obtenir une sauce par réduction.

Moi, j’extrais d’abord la quintessence du produit. Ensuite, soit on l’utilise seule, soit on l’assemble avec d’autres extractions.

On cuit à basse température car pour que le produit soit bon, il faut qu’il soit cuit à 90°C maximum. Au delà, ça tue le produit.

Puis on extrait, c’est à dire qu’on retire l’eau. Parce qu’on s’est rendus compte que l’eau gèle avant les matières solides.

C’est la cryo-extraction, c’est à dire l’extraction par le froid.

La technique existe depuis les années 1920, c’est celle du lait condensé, entre autres. Je l’ai adaptée. »

(Pardon si l’explication n’est pas tout à fait juste, c’est seulement ce que j’ai en mémoire, je n’ai rien noté. Mais c’était passionnant)

Surprenant début de repas
Gelée de camomille…et de l’huitre en cube?

Ce dîner du 30 janvier était incontestablement du niveau d’un trois étoiles.

Sur 11 plats dont 2 desserts, sans compter les accompagnements, le pré-dessert et les mignardises, j’ai retrouvé l’excellence de la cuisine de Yannick Alléno. Citadin, sophistiqué, élégant: le plus parisien des chefs.

Il y avait certes un côté pas tout à fait abouti dans quelques rares plats, mais qui est une constante dans tout ce qui est créatif et nouveau. Cela rend l’expérience encore plus fascinante.

Et c’est avant tout un vrai plaisir de voir un chef de ce niveau, qui a déjà atteint les plus hauts sommets, accepter le challenge de revoir sa cuisine, de réfléchir, d’apprendre, d’essayer, d’inventer. Sans avoir peur de dire avec un culot énorme:  « Je remets la sauce dans la cuisine française. Les vieilles sauces, c’est fini. »

Voilà pourquoi pour moi, la troisième étoile est dûe.

« Salinités » – huître chaude en gelée de camomille et vinaigre de cidre – extraction de pistache – saint-jacques à l’eau de mer, citron confit et pomme – fine meringue à l’extraction de champignon de Paris et langue d’oursin

L’amuse-bouche intitulé « Salinités » est absolument génial. L’huître cuîte dans un cube de gelée est posée sur une sorte de pâte de sucre qui lui donne une très légère sucrosité. Délicat mariage réussi d’iode et de sucre (la pâte ne se mange pas – j’ai goûté, ce n’est pas vraiment bon. Les algues non plus).

La saint-jacques est toute de mousse avec en son centre, un morceau de la noix. Équilibre de textures assez détonnant aux saveurs marquées et rondes.

La meringue de champignon avec son petit oursin est juste délicieux: deux textures de fondant, avec du croustillant, énormément de parfums de terre et de mer. Léger comme une plume.

Jus de courge rôtie en fine gelée, crème à la noix de muscade

La courge est rôtie puis mise sous vide et cuite pendant 2 jours (je crois) à 70°C (je crois). Ensuite elle est refroidie pour extraire l’eau…et après je ne me souviens plus.

C’est difficile de dire exactement en quoi c’est différent. C’est juste plus « courge » tout en étant plus fin et pur. On retient une énorme impression de pureté…

Ravioles de noix de coquilles Saint-Jacques, caviar Osciètre et beurre monté

Moins marqué en « extraction » probablement à cause du beurre monté, cela reste néanmoins excellent. Caviar (du vrai, du bon) dedans et dessus.

Pain de brochet brioché croustillant, extrait de céleri rave

La « croûte » est finement croustillante, un délice. Le cœur est infiniment moelleux. Le « jus » de céleri rave est indescriptible. Une sorte de concentré sans l’exagération de la concentration, avec toutefois une grande longueur en bouche.

Anguille, betterave et oignon acide, coulis de cresson…
…avec son soufflé
Saint-pierre iodé cuit à la juste température, poireaux fondus au babeurre coloré
Civet de langues d’oursin et d’un petit rouget, toast gratiné

Adoration absolue pour cette « matelote » qui n’en est pas une.

Un assemblage de 8 extractions, dit le chef, dont évidemment du vin.

Encore cette impression de « pureté », de limpidité, alors que les saveurs d’une bonne matelote sont là, en beaucoup plus fin. J’ai un mal fou à décrire tout cela. Probablement parce que ce sont des sensations toutes nouvelles.

Agneau élevé sous la mère au lait épicé…
…avec sa semoule égrainée aux condiments et aux éclats de meringues

Meilleur « couscous » non traditionnel de ma vie. On en mangerait des saladiers de ce plat. Parfumé, raffiné, exotique sans excès. Textures, acidités, un peu de sucré et même de la viande cachée dessous! Génial.

Endive de pleine terre contisée de truffe noire, jus de coing et amertume de chocolat

Joli jeu d’amertumes dans ce plat, juteux, terreux, complexe et très très bon. Quand l’amertume devient une belle saveur…

Touches sucrées – aloé vera trempé au fromage blanc, jus de pamplemousse – galet de pomme au sucre roux – tuile acide et gel de cidre

J’avais déjà été épatée par les desserts la dernière fois. Un peu moins cette fois – probablement trop épatée par les plats. Terriblement bon quand même.

Segments de clémentine en fine gelée vanillée, pomponettes à la confiture

Du fruit, avec son juteux, son parfum, ses saveurs acides et sucrées – comment peut-il être si fin et si concentré tout à la fois?

Palet de crème tendre au chocolat noir, glace à la vanille Bourbon

Dessert de grande gastronomie. Moi qui n’aime pas le chocolat…j’en re-veux.

Yannick Alléno – Carré des Champs-Elysées
1 Avenue Dutuit
75008 Paris
Tél: 01 53 05 10 00