Un an déjà…Pensées floues

La semaine dernière, j’étais au Japon. Loin des zones encore sinistrées. J’étais à Karuizawa, près de là où se sont déroulés les JO d’hiver de Nagano. Et à Tokyo. Je ne sais pas comment cela se passe dans les zones sinistrées: on entend parler des habitants qui n’ont toujours pas de maison, pour qui le gouvernement avait prévu des abris temporaires, mal protégés, sans aucune isolation pour le froid. On pense toujours que le Japon est un pays chaud. Mais à Fukushima et aux alentours, c’est le nord, où il neige et où il fait plus froid qu’à Paris. Surtout cette année, comme par hasard très enneigée et froide. On dirait que la nature fait exprès.

On entend aussi que les gens là-bas n’ont plus de travail, boivent pour se réchauffer et pour oublier.

 

A Tokyo, tout cela semble pourtant lointain. Bien sûr, partout où l’on va, il y a des boîtes en plexiglas pour les dons. Elles ne sont pas très pleines, mais peut-être qu’elles sont souvent vidées. Elles sont très discrètes, placées à côté de la caisse des magasins, parmi les journaux, brochures, magazines…. Je ne suis pas la plus attentionnée des personnes et je ne me suis rendue compte de leur présence qu’au bout de quelques jours.

 

Tous les jours, quelque chose dans les journaux. Les mensonges du gouvernement, de Tepco, qui continuent à se dévoiler. Des témoignages qui font mal, qu’on évite un peu de lire en public. D’un côté on se dit “encore un”. De l’autre, on ne peut s’empêcher d’y penser pour le reste de la journée, comme une mélodie qui reste dans l’oreille alors qu’on voudrait l’oublier.

 

Quant à la radioactivité ambiante, personne ne sait. On mange, on boit, normalement. Je n’ai pas vu un seul compteur Geiger. Tokyo a repris son rythme d’avant; on dirait que la consommation d’électricité aussi. Les lieux publics sont surchauffés. Il y a toujours autant de portes automatiques, de sèche-mains hyper puissants, de lumières partout. Même si beaucoup d’entreprises imposent le départ des bureaux dès 20h pour limiter la consommation. Mais c’est la crise économique aussi, alors…

 

Les campagnes ont l’air paisible. Mais il suffit de gratter un peu pour s’apercevoir que c’est un calme déceptif. Pragmatique peut-être. Car j’ai vite compris qu’on ne peut pas vivre en ayant peur de l’air que l’on respire. De l’eau qu’on boit. L’humain apprend très vite à ne plus y penser. Instinct de survie ?

 

La terre continue à trembler un peu. Elle a toujours tremblé dans l’archipel. Tout le monde est habitué. On espère qu’il n’y en aura jamais d’autres comme il y a un an. On dit que le prochain gros séisme sera à Tokyo. Rumeur ou science? Personne ne sait. Certaines personnes emportent partout avec elles leur kit de survie, caché toutefois dans le coffre de leur voiture. Tout en sachant que ce serait dérisoire en cas de catastrophe car la terre ne tremble que pendant quelques longues secondes, quelques petites minutes qui semblent durer une éternité mais qui ne laissent à personne le temps d’aller chercher un kit, encore moins de revêtir le casque. Tout ce qu’on peut faire, c’est se réfugier sous une table, car le plus grand danger reste le coup sur la tête comme tous les enfants japonais savent dès l’âge de trois ans.

 

Pendant mon séjour au Japon, j’ai travaillé quotidiennement avec un homme dont la maison avait complètement disparu en quelques secondes, qui par miracle n’avait pas perdu ses parents qui y vivaient et qui vivent aujourd’hui « par chance » dit-il, dans une maison qui se trouvait derrière, et qu’ils louaient. Ils ont néanmoins perdu des membres de la famille. De temps en temps, il poste des photos de sa ville natale, du quartier où il a grandi : il ne reste que des débris, des cadavres de bateaux, car c’était un port de construction navale. On voit quelques fondations de maison : cela me rappelle Pompéi. Il avait pris quelques jours de congé juste après, pour les funérailles, pour aider ses parents âges à se réinstaller dans leur nouvelle demeure, à s’habituer à vivre sans tous leurs vieux souvenirs. Il a failli ne pas revenir au travail m’a-t-il dit.

 

Pourtant, s’il ne m’avait rien dit, je ne l’aurais jamais deviné, tant il paraissait insouciant, heureux de la vie, de son quotidien, avec ses petits soucis et ses petites joies. Mais il était surpris et très heureux quand je lui ai décrit les efforts de soutien faits par les Français que je connaissais. Parce que les Japonais ne croient pas que les autres puissent leur venir en aide. Je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pas de la fierté, ni le refus. Juste de l’incrédulité.

 

Nous n’avons pas parlé du 11 mars 2011. Nous étions occupés à autre chose. Du quotidien, qui continue. Il y a eu plus de 20 000 morts. Alors, combien y a-t-il de Japonais aujourd’hui, qui ont perdu quelqu’un et qui continuent à vivre sans rien dire ?

 

Je sais que tout ceci est très flou. Pour une fois je n’ai pas d’opinion catégorique. Les agissements des têtes de Tepco et du gouvernement sont inqualifiables. Je suis contente que les centrales nucléaires au Japon soient progressivement fermées. J’aimerais que l’on aide plus les sinistrés. Mais comment demander au monde de nous aider alors que nous continuons de chauffer les lieux publics (le thermostat de ma chambre d’hôtel était mis à 24°C); d’utiliser des WC complètement automatiques ?