SuMiBi-Kaz

SuMiBi Kaz. En deux mots obscurs avec des majuscules à chaque syllabe, le nom du restaurant n’est ni simple ni particulièrement accueillant. Quand on comprend le japonais, ça va encore, mais quand on ne comprend pas…

Petit cours de sémantique

Sumi = charbon ou cendre. bi est hi qui devient bi lorsqu’il est précédé d’un autre mot = feu. Sumibi = feu de charbon. Quant à Kaz, c’est très simple. Le chef se prénomme Kazunari.

Le charbon japonais binchôtan

Vous l’aurez deviné, la spécialité de la maison est la cuisson au charbon de bois. Mais pas n’importe lequel. Il s’agit de binchotan (prononcer binn+tchô+tann), du charbon de Quercus phillyreoides, une espèce de chêne d’Asie. « Inventé » et commercialisé par un certain Bicchûya Chôzaémon il y a un peu plus de trois cents ans, sa renommée mondiale est très récente. Aujourd’hui au Japon, on trouve du binchotan d’autres bois de la famille Quercus comme le chêne bleu du Japon bien que cela fasse hurler les puristes. L’authenticité du binchotan fait débat, et en dehors du Japon, de nombreuses « imitations » faites de bois divers sont vendues sous l’appellation binchotan à des prix exorbitants.

Avec le Covid, la moitié des tables sont dehors en terrasse. Distanciation scrupuleusement respectée. Du coup, la salle est un peu vide.

D’après Wikipédia, le binchotan est doté d’un nombre infini de pores. Ainsi, 1g de binchotan étalé à plat représenterait 200 à 300 m2 (l’équivalent d’un court de tennis). D’où son efficacité à absorber odeurs, calcaire, chlore etc. On lui attribue des propriétés quelque peu exagérées (à mon avis) et on l’utilise pour filtrer l’eau, désodoriser le placard à chaussures ou le frigo, rendre l’eau du bain plus douce. Il est adapté à la cuisine car il dégage relativement peu de fumée et donne un parfum fumé agréable sans le côté barbecue crasseux du charbon classique.

Le restaurant

Le lieu est sympathique, sans tomber dans le cliché japonisant (pas de Mont Fuji au mur, ni pub de bière Asahi, ouf). Ce n’est ni une cantine ni un gastro chic, et se situe dans le casual friendly. Une grande vitre permet de voir la cuisine où les cuisiniers s’affairent tout en isolant la salle de toute odeur de graillon. Les gestes sont précis et calmes, les visages concentrés et réservés … Très japonais, en somme.

Le chef Kazunari Kano

Si vous êtes Japonais, vous reconnaitrez une ambiance et un menu de type izakaya (bar à saké) raffiné, car ici vous ne vous attablez pas devant une assiette mais devant un désordre joyeux de plats à partager accompagnés de bières ou vins, à l’asiatique. Je dis bien « si vous êtes Japonais » car le restaurant s’adresse d’abord à un public français et si vous êtes Français, les plats vous seront servis de manière classique – dans l’ordre, et sagement devant chaque convive. Je pense toutefois que de les manger ainsi – entrée, plat, dessert – pourrait s’avérer un tantinet ennuyeux. Nous avons demandé que les plats soient servis dès qu’ils sont prêts, au fur et à mesure, et avons tout partagé, chacun dans sa petite assiette.

La carte

(Photos de la carte détaillée en bas de la page). Tout en haut, des petits plats « pour commencer » (tsumami) fort sympathiques, puis des entrées un peu plus conséquentes. Les plats sont bien garnis et on ne sort pas de là en ayant faim. Le bento, que je n’ai vu que de loin m’a paru bien attirant, un rapport qualité-prix-quantité extrêmement correct (à tester donc) à 33€ le soir.

J’ai trouvé vraiment agréable – et il y en a de plus en plus à Paris -, cette « authenticité », une cuisine vraiment japonaise comme au Japon, sans que cela soit cantonné à une catégorie de cuisine spécifique. Car même s’il y a beaucoup de restaurants de barbecue au charbon au Japon, ce n’est pas un type de cuisine, comme le sushi, le ramen ou le yakitori. L’ère des clichés est finie et celle d’une variété réjouissante et personnelle est enfin arrivée.

C’est en tout cas ce que j’ai ressenti ici.

Champignons eringui grillés, sauce anchois au beurre noisette.

Maquereau frit puis mariné au vinaigre doux servi froid.

Ce que nous appelons le nanban-zuké… Il est très délicat et fin, pas du tout piquant. Très très agréable.

Carpaccio de poulpe saveur prune salée uméboshi, huile d’olive parfumée à l’ail.

J’ai bien aimé ce poulpe. La cuisson très précise est sur le fil qui départage le mou et le dur, l’élasticité et la tendreté. Au Japon, nous aimons le poulpe plus élastique qu’en Occident. La découpe en tranches très fines permet de conserver cette élasticité tout en rendant la mastication aisée. L’uméboshi marche évidemment très bien. Quant à l’ail on ne le sent presque pas. La tendance se confirme: tout est très délicat et fin, ici.

Langue de bœuf grillée au charbon binchotan, sauces trois saveurs.

Les sauces sont, de droite à gauche: yuzu-kosho, sauce soja et oignons très doux, miso doux très légèrement piquant. C’est très bon! En dessous, des pousses de soja, quelques dès de champignons et un peu de courgette.

Filet de canard et aubergine grillés au charbon binchotan, sauce miso à l’ail.

Excellent. Simple mais efficace, le canard ferme et goûteux, l’aubergine fondante avec le parfum brûlé qui lui va bien.

Haché de poulet grillé au charbon binchotan, sauce soja caramélisée, purée de céleri-rave.

N’étant personnellement pas fana de boulettes quelles qu’elles soient, je n’ai pas trop accroché à ce plat qui pourtant est très bien fait. Nous l’avions pris pour notre fille qui a adoré. Nous avons demandé un bol de riz nature qui n’est pas indiqué sur la carte mais bien sûr qu’il y en a.

Le hitsumabushi, ou quand on veut, comme on veut

Filet d’anguille grillé au charbon binchotan sur riz assaisonné.

Le libellé sur la carte est laconique. Il faut lire le japonais… Le hitsumabushi est un plat traditionnel servi sur un plateau. Le mot vient de hitsu qui est le récipient en bois dédié au riz. Traditionnellement, l’anguille en kabayaki – grillée avec un laquage de sauce soja, saké et mirin -, est servie non pas dans un bol ou une boite individuels mais dans un hitsu sur un lit de riz, accompagnée des condiments d’usage – wasabi et ciboule émincée. Chacun se sert de riz et d’anguille dans son bol individuel, ajoute des condiments à sa guise et verse dessus du thé ou du bouillon. Ou pas, s’il n’en a pas envie.

L’anguille est très très très bonne… Elle est plus ferme que les anguilles japonaises, viendrait-elle des Pays-Bas ou de Belgique? Elle n’a pas le goût très vaseux des anguilles que l’on trouve dans le commerce en France, notamment dans les épiceries asiatiques.

Le hitsumabushi peut être servi avec du thé ou un bouillon soigneusement dégraissé. Chez SuMiBi Kaz, c’est un bouillon foncé mais très fin et la théière en est bien remplie.

Ma fille préfère sans rien. Moi, avec tout. Mon conseil: commencez par goûter sans rien, juste l’anguille et le riz. Puis, ajoutez un peu de wasabi et d’herbes, ainsi que l’équivalent d’une cuillère à soupe de bouillon. Cela donnera de l’anguille et du riz juste mouillés. Puis, versez du bouillon à hauteur pour recouvrir le riz sans le noyer. Des cuillères sont fournies mais si vous le pouvez, faites comme nous. Mangez directement au bol, en poussant les solides (l’anguille et le riz) dans votre bouche avec vos baguettes tout en avalant le bouillon. C’est délicieux, fin, gourmand, avec de la mâche et du liquide tout à la fois (comme un minestrone). Une fois le bol vide, versez-y un peu de bouillon et buvez-le pour vous rafraichir le palais. Vous pouvez même faire du bruit en aspirant, c’est totalement permis.

Voilà. L’art de vivre à la japonaise…

C’était la meilleure anguille que j’ai mangée à Paris.

Les desserts

Cheesecake au yuzu.
Tiramisu au matcha.

Franchement, une agréable surprise. J’avais peur que ce soit des gâteaux froids sortis du frigo de la boulangerie Aki ou Aoki mais le tiramisu et le cheesecake sont faits maison. Ils sont bien exécutés, très bons, plus riches que les desserts habituels japonais. La crème caramel au sésame noir est également faite maison… Le taïyaki – pâtisserie en forme de daurade, d’où son nom-, vient du commerce mais est grillé… devinez à quoi? Au binchotan. Cela se fait souvent, quand on a une pâtisserie, de le griller pour lui donner un coup de peps et un léger parfum caramélisé et brûlé. Nous les essaierons la prochaine fois.

SuMiBi Kaz
11 rue Montryon
75009 Paris
Tél : 01 45 80 26 98
Mardi au Samedi 12:00〜14:30 / 19:00〜22:30
Dimanche 19:00〜22:30
Fermé Dimanche Midi et Lundi
https://www.sumibi-kaz.com/

La philosophie de la maison, que je n’ai pas trouvé ultra claire mais qui a le mérite d’être très sérieuse. Contrairement à beaucoup de chefs japonais à Paris, qui ont une formation de cuisine française, celui-ci est vraiment issu de la cuisine japonaise. Alors c’est forcément sérieux, rigoureux, peut-être pas très rigolo mais très droit.
Tout en haut, les tsumami pour commencer. Puis les entrées.
Les grillades, conçues comme des plats principaux qui se partagent très bien. Le bento quant à lui est un menu complet joliment présenté dans une boîte japonaise et qui de loin m’a semblé bien fournie.