Yam’Tcha ferme?

Oui, Yam’Tcha a fermé le samedi 11 octobre après le service du soir. Mais ce n’est que pour quelques mois. En attendant de rouvrir à deux pas, quelque part en 2015.

Ci-dessous, mon dernier diner la veille de la fermeture, le vendredi 10 octobre. C’est un peu triste de penser que ce lieu que j’ai beaucoup aimé, ne sera plus le même. Son existence a été courte: une première vie de 3 ans. Puis une deuxième de 2 ans à peine. Une cuisine y est née, inspirée de la Bourgogne, de Hong-Kong, de l’Astrance, des voyages. Un caractère unique, dans un concept original. Reflet d’une rencontre entre Orient et Occident, entre deux grandes cuisines du monde et d’un homme et une femme qui ont chacun un charme très personnel, complètement différents mais qui partagent  une même générosité et beaucoup de curiosité.

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Le bon vieux thé de bienvenue, néanmoins un nouveau thé Oolong Phénix de Canton, dit Chiwah.

Chiwah, graphiste de formation, qui découvrait les joies de la restauration et du service, dont les thés étaient encore petits lors de l’ouverture du restaurant, qui cherchait à reproduire le thé avec lequel il avait grandi à Hong-Kong et qui s’est bien surpassé depuis.

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Pour commencer, un “nem” de tofu fumé. Avec une petite flaque de sauce au vinaigre. C’était bon autrefois mais encore meilleur aujourd’hui.

Au début, Adeline reproduisait le “schéma Astrance” avec des parfums chinois et une réflexion originale. Elle nous avait régalés puis un peu assommés, avec son riz noir Venere, ses haricots noirs, ses algues moustaches et son fromage de l’Abbaye de Citeaux. Puis elle a trouvé une identité forte mais délicate, reflet dichotomique fidèle de sa personnalité, comme ce nem qui est survenu un peu de nulle part, ni vietnamien, ni chinois, ni Astrance, ni tout à fait bourguignon non plus. Un peu fade, un peu “tofu” au début, il est aujourd’hui Yam’Tcha: une bouchée croustillante de saveurs affirmées, fortes mais parfaitement raffinées.

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Petite entrée charmante mais grandiose. Thon bleu de Méditerranée, petit concombre du Mexique (a.k.a. mélothrie pendante, melon de la souris, pastègue miniasture…), fromage blanc.

Le thon est très fin, très souple, le grain de la chair, serré. Il fond en bouche sans aucun accroc, sans le moindre nerf qu’il faudrait mastiquer. Le fromage blanc est frais mais doux; les mini-concombres croquants et vert, avec un goût de pastèque pas trop mûr. Le caviar est léger. Il apporte du salé et de l’umami.

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Bulot, sauce foie gras, shiitaké et truffe de Bourgogne, chou croustillant.

On aurait cru un plat chaud et en fait non, c’est froid. Très très bon, avec un je-ne-sais-quoi qui me rappelle le canard pékinois. Intrigant. Beaucoup de textures dans un ensemble riche alliant terre et mer.

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Thé pu-erh 5 ans d’âge. Ce thé est sublime…

Le thé, c’est pire que le vin. Selon l’eau, la personne qui le fait, le temps dehors et peut-être aussi son humeur à lui, il peut changer, pour devenir autant de boissons différentes. Ce pu-erh est probablement le même que celui que j’ai chez moi car Chiwah et moi nous fournissons chez le même marchand de thés à Hong Kong (c’est d’ailleurs chez ce marchand de thés que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, une autre histoire) mais il est tellement meilleur ce soir, ici.

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La “bouillabaisse” avec huître tout juste raffermie, oursin, turbot, rouget frit et citron caviar.

C’est très bon… Une curieuse épaisseur du bouillon qui ne se voit pas du tout sur la cuillère mais qui reste longtemps en bouche me fait réfléchir sur le collagène du poisson qu’on aime beaucoup en Asie et pas plus que ça en France. C’est rigolo, je n’y avais jamais pensé avant. Les grains de citron caviar sont encore plus fermes dans ce nectar salé: les broyer entre les dents pour faire exploser en bouche leur acidité pointue.

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Le thé blanc, celui qui a un parfum de rose (inutile de préciser qu’il n’y a aucune fleur dedans, c’est du THE).

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Le homard breton, encornet, nouilles chinoises et sauce XO. Là on est vraiment dans la Chine, avec une forte présence d’umami de fruits de mer séchés. Impossible à photographier (pour moi en tout cas), ça ne ressemble à rien si ce n’est un TAS. Cela se mange à la cuillère et avec les baguettes car les nouilles sont larges, glissantes, cuites al dente, et quand même assez longues. Pour parler italien, ce ne sont pas des macaronis mais plutôt des linguines.

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Le Tie Guan Yin, qui est parfois mon thé préféré (selon l’humeur du moment…), un thé raffiné et puissant.

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L’agneau, sucrine et tomates rôties, sauce vinaigre noir. C’était pour moi le plat le moins réussi ce soir, un peu trop d’acidité.

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Le Wu Yi Yan Cha ou thé de roche de Wu Yi tend beaucoup vers la minéralité. Un peu dur tout seul, il prend beaucoup de rondeur lorsqu’il est accompagné de plats aux saveurs prononcées avec un peu de gras.

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La brioche Yam’Tcha au stilton et cerise amarena, qui est devenue un “pain-fromage signature” d’Adeline Grattard. Le stilton – ce bleu anglais qui est vraiment bon! – a fondu pendant la cuisson à la vapeur de la brioche. On mord dans ce pain à la pâte infiniment molle et on découvre un soupçon de sucré pour grandes personnes avec l’amarena…une délicieuse graisse épicée de bleu coule sur le menton comme si on était encore petit et que tout est chaud, doux et réconfort.

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Thé vert bio. Là, grande surprise. On dirait un thé sencha très très haut de gamme…Je n’insinue pas par là que le thé japonais est meilleur, plus raffiné, plus noble que les thés chinois car je crois que c’est tout le contraire. Pour ma consommation personnelle, j’ai une préférence pour les thés chinois. Néanmoins, le thé vert japonais a la particularité d’être très riche en umami: dans un thé sencha et encore plus un gyokuro, on sentirait presque l’umami rouler sur la langue tellement il est présent. Une sorte de velours fin, palpable, qui aurait un peu de mâche…Ce que les thés verts chinois n’ont pas souvent car même s’ils sont verts, les méthodes de production sont très différentes.

Mais ce thé – chinois, donc – présentait exactement cette caractéristique tout en étant très clairement un thé de Chine. Fait à basse température, comme un thé gyokuro japonais et probablement laissé à infuser un certain temps afin d’en tirer l’umami sans l’amertume.

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Dessert passion, pomelo, physalis, nougatine. Superbe équilibre entre l’acidité et le sucré, avec plein de textures pour donner du volume. Depuis le premier jour, malgré des hauts et des bas, j’ai toujours admiré les desserts d’Adeline: simples, directs, sans chichis ni même trop de forme, mais bons et très très agréables.

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Blanc-manger, framboises, sauce chocolat.

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Je ne me souviens plus du dernier thé…C’était un Oolong…

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Les théières toujours prêtes au combat…

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L’ancien restaurant rue Sauval deviendra une boutique de thés et un take-out de brioches chinoises à la Yam’Tcha, ça va être très rigolo. La cuisine s’agrandit: le fenêtre qui donne actuellement sur la rue deviendra un “guichet” où on pourra acheter les brioches à emporter uniquement. L’espace du restaurant actuel sera transformé en boutique en prolongeant le bar actuel. On ne pourra pas acheter les brioches et les manger dans la boutique (j’ai soumis la brillante idée d’obliger les gens à nettoyer derrière genre MacDo mais non, même pas). Il faudra donc acheter la brioche, le thé en feuilles et apprendre à l’infuser chez soi. Ce qui n’est pas plus mal.

Yam’tcha
Anciennement 4 rue Sauval
75001 Paris