Oreiller, caviar et Bistro Simba

De Bruxelles, j’avais rapporté chez moi à Paris, un Oreiller de la Belle Aurore. Fait par Karen Torosyan, hors saison, juste pour une occasion. Depuis, il dormait dans mon frigo, trop beau pour être sauvagement entamé dans la solitude de la nuit. Je l’ai pris dans ma valise avec quelques packs de glace dans un sac isotherme. Cela devait faire dans les 5kg.
J’avais aussi 3 boites de caviar achetés chez Kaviari que finalement, nous n’avons pas eu le temps de déguster. Un autre sac isotherme, de la glace et hop! 1 kg de plus.
C’est lourd la glace.

A Tokyo, il faisait une chaleur à crever. En pleine mousson, il ne pleut finalement pas beaucoup mais l’air est moite, lourd, mouillé. On pourrait le couper au couteau, tellement il est épais.

Je trimbale mes 6kg jusque chez Bistro Simba. Le chef Yuji Kikuchi est un ancien de Paris et propose aujourd’hui de la cuisine d’inspiration française dans un cadre décontracté à Ginza, Tokyo.

Commençons par du Kaviari…

Le caviar, nature à la petite cuillère ou avec crème et blinis, est surprenant de fraicheur et se marie très bien à ce climat.

 

Personne n’a aimé le premier, le Baeri fermier. Les avis étaient unanimes. Les grains sont mous, le goût salé sans réelle saveur. Le deuxième, l’Osciètre Prestige, a plu à mes deux amies. Moins salé, plus rond, plus doux, ont-elles dit. Les trois hommes ont préféré le Kristal (nous étions six à table). « Incomparable, beaucoup plus d’umami » ont-ils maintenu, contre l’avis des femmes. Y aurait-il une différence des sexes dans l’appréciation du caviar? Hum. Moi, je ne compte pas.

L’Oreiller de la Belle Aurore

J’avais un peu peur que l’Oreiller ait souffert du voyage en avion et des écarts extrêmes de température, de la chaleur et de l’humidité tokyoïtes dont les méchantes bactéries raffolent.

Chef Kikuchi l’avait dressé sur une planche en bois, accompagné de pickles maison de chou-fleur, cerises, cornichons (il avait également fait des petits blinis tout jolis pour le caviar).

L’Oreiller n’est pas tout à fait adapté à l’été japonais où on a envie de frais, de froid, de léger. Ici, il semble plus salé qu’en France, beaucoup plus concentré en goût. Je m’aperçois que l’Oreiller est une concentration de viandes… Nous ne sommes pas habitués à cette mâche viandarde ici au Japon, où la viande est excessivement tendre… Ni à cette quantité de protéines animales pressée en quelques bouchées. Probablement l’équivalent en viandes et beurre que consomme une famille japonaise pendant tout un mois, réuni en une seule grande tranche.

Mais c’était bon… dès la première bouchée, l’absence totale de sucre et la présence magistrale du gras (beurre et foie gras) m’ont frappée. J’ai vécu un petit choc culturel gustatif. C’est donc cela que l’on recherche dans la grande cuisine française,  que les Japonais idolâtrent sans tout à fait y parvenir…

Harmonie et rondeur en toute chose

Un jour un grand chef français, à qui je venais de dire que son plat était trop salé, m’a dit « Vous les Japonais, vous vous plaignez toujours que c’est trop salé ». Ce n’était peut-être qu’une boutade, mais il est vrai qu’un Japonais trouve souvent la cuisine française trop salée. Ce qui m’a toujours étonnée, car la cuisine japonaise est déjà excessivement salée… sauce soja, sel, produits marins, produits fermentés.

Ah mais voilà. Ici, le sel est toujours contrebalancé par le sucre. Sauce soja et sucre; sauce soja et saké; vinaigre, sucre et sel; dashi, sucre et agrume. Tout est plus ou moins salé et sucré, l’un effaçant l’autre en bouche pour donner un goût rond, sans conflit ni agressivité. Ce n’est pas une cuisine qui vous rentre dedans. Elle reste polie et courtoise. Son défaut, il faut le dire, est d’être un brin trop passe-partout, parfois.

Et c’est la raison pour laquelle les Japonais ont du mal à faire une cuisine française qui a du répondant. L’habitude que nous avons de toujours noyer le poisson, d’arrondir les saveurs, forme une barrière inconsciente à la franchise de goût où le salé est salé, le sucré est sucré …

Consensus et une belle soirée d’été

Or la grande cuisine française est directe et ne prend pas de gants. Salée ou sucrée, elle s’affirme l’une ou l’autre. Elle est cartésienne, en somme. Et viandarde. Des viandes sauvages et fibreuses que l’on mâche, qui, pour un Japonais, sont incroyablement dures. Vivant en France, j’avais un peu oublié cette différence mais elle m’est revenue lorsque j’ai porté un bout d’Oreiller à ma bouche. Cette mâche goûteuse des viandes, ce bon parfum capiteux de beurre, cette belle rusticité qui ne cherche pas l’approbation universelle, n’existent pas au Japon et je ne sais même pas si elles seraient appréciées ici – même si les Japonais rêvent de les imiter.

Nous avons continué avec une succession de plats du chef. Ils étaient tous excellents et, venant après l’Oreiller, très japonais – un peu de douceur partout et un dessert très délicatement salé – et consensuels. Le consensus n’est pas un vilain mot ici, et ma première soirée à Tokyo, faite de partage, de découverte, de bouteilles de vin et de beaucoup de curiosité, a été vraiment très agréable.

Ce fut une expérience inédite que d’avoir un Oreiller en bouche et la peau moite comme dans un sauna.

Ayu frit, oseille, coriandre, artichaut et melon. C’est ce que j’ai préféré de toute la soirée. L’amertume de l’ayu est extrêmement rafraichissante par ce temps.

 

Vin mystère…?

 

Ah, voilà.

 

Tachiuo, un poisson de la famille des trichiuridae, à la chair goûteuse, un peu comme le maquereau mais beaucoup plus fin. Je ne sais plus ce qu’il y a d’autre dedans mais il y en avait de toutes sortes.

 

Sazae (turbo sazae), une sorte de gros escargot de mer, très prisé au Japon.

 

Préparé en persillade. Ça fume et ça crépite!

 

« Bouillabaisse » de crevette. C’est bon mais je commence sérieusement à caler.

 

Compote, gelée et sorbet de nèfles, avec quelque chose de très légèrement salé.

Bistro Simba
Chuo-ku Ginza 1-27-8
Tokyo 104-0061
Tél: +81 3 6264 4218