Je n’ai jamais mangé autant de racines de ma vie.
C’est très bien les racines. Économiques, bonnes pour l’environnement et la santé, pleines de fibres et de vitamines.
Et comme le faisait remarquer très justement Max (de passage à notre table), il y a plus de façons d’apprêter, de cuisiner un légume qu’une viande. Je n’y avais jamais pensé mais c’est vrai. Une viande présente plus de contraintes. Alors qu’avec un légume, la liberté est totale. Cru, poché, bouilli, grillé, rôti, brûlé, sauté, mijoté, mixé, en sauce ou pas en sauce, avec d’autres légumes ou tout seul, il peut être accommodé de plein de façons. Il peut même se faire accompagner d’une viande.
Vous le savez sans doute. J’aime vraiment, vraiment, la viande. Jamais de ma vie n’ai-je préféré un plat de légume à un plat de viande, quel qu’il soit et quelle qu’elle soit. Après la viande, j’aime le poisson et les autres animaux de la mer. Bien après dans ma liste de produits comestibles, viennent les pommes de terre, le blé, le riz. Enfin, on arrive aux salades et quelques légumes qui ne sont pas tout à fait fades, comme l’aubergine, l’artichaut, la tomate et le concombre.
Les navets, les radis, les choux et les potirons occupent le bas du bas de ma liste.
Jamais, jamais dans ma vie, n’ai-je choisi de manger un céleri. Tout le céleri du monde disparaitrait demain que je ne verserais pas une larme. Le navet et le radis pourraient m’émouvoir un peu plus mais seulement s’ils sont crus. Cuits, je les trouve fades, insipides, blafards, un peu comme ces soirées froides et pluvieuses de novembre.
J’ai compté. Si on inclut les amuse-bouche, j’ai mangé 14 plats de légumes. QUATORZE. À la suite, les uns après les autres, sans aucun répit, sans même un pilon de poulet pour souffler. Du céleri, du potimarron, des choux, de la betterave, des radis et des navets. En gros, 6 produits plus ou moins insipides et fibreux qui se sont plus ou moins répétés.
Mais voilà. Il s’est produit un petit miracle. J’ai aimé.
J’ai été impressionnée par l’inventivité de cette cuisine… L’imaginaire qui ouvre de nouveaux horizons, permettant à un navet de devenir une étoile qui brille de mille feux. La technicité qui s’exprime par une certaine nonchalance et beaucoup d’humour, rendant l’expérience non seulement intéressante, mais surtout très joyeuse.
Des profondeurs de goûts et de parfums, des jeux de textures insoupçonnés – du moins par moi – qui donnent à 6 légumes tant de facettes et d’univers différents.
Alain Passard, le seul homme sur terre à me faire manger des racines pendant 4 heures. Et me les faire aimer.

C’est quand même bien, cette tradition oubliée de l’amuse-gueule feuilleté.

Frais et très surprenant. On attend la suite…

Génial bouillon. Je ne me souviens plus quels étaient les trois légumes, mais il y avait bien trois goûts distincts. La texture de la pâte est exquise…Souple, très légèrement élastique, avec de la mâche et presque du croquant mais qui glisse sur la langue et dans la gorge. Cela m’a rappelé des won-ton chinois. Mais de grand maître.

Après la Chine, le Japon ? Mais pas du tout. Les parfums et saveurs sont délicats et puissants tout à la fois. Trop vite fini…

Excellent, alors que vraiment, le céleri… La cuillère s’enfonce dans ce qui pourrait ressembler à une royale. Qui s’avère, en bouche, être un risotto. Exactement. Des « grains » distincts mais liés par une substance crémeuse tout à fait mystérieuse quand à la provenance et la composition. Animal, végétal, minéral ? Mais c’est bon !

Un peu rapide celui-là. Aussitôt arrivé, qu’il avait disparu. Presto !

Absolument délicieux. Douceur et puissance, avec un superbe umami de pomme de terre fumée.

Ou quand un homard assaisonne un navet…Infiniment douce, presque sucrée, la sauce nappe et enveloppe comme une gelée légère, unie aux lamelles fines de navet pour former une sorte de raviole virtuelle. Le homard n’est qu’une petite bouchée qui pourrait presque être n’importe quoi, si ce n’est pour sa texture ferme et croquante qu’on ne trouve quand même pas dans tous les crustacés.

Léger et très très aérien. Puis chaud et réconfortant. Que ce serait bon dans un mug pour remplacer le chocolat chaud. Je l’imagine bien dans mon lit, avec un bon bouquin. Et un peignoir en flanelle. Mais oui.


Je n’avais jamais imaginé que l’on me fera manger un jour du céleri et du potimarron en couches superposées…et que j’aurais envie d’en redemander. La seule fois où j’ai rencontré cette richesse de textures dans un plat entièrement légumier – croquant, ferme, la dent traversant une lamelle tendre, une lamelle ferme, en alternance -, cette plénitude de saveurs douces et rondes, est en Inde, avec sa cuisine végétarienne construite, totalement aboutie après des millénaires de tradition. Ce plat n’a rien à voir avec la cuisine indienne : il y a seulement cette analogie dans la satisfaction qui était réservée, dans mon expérience, au seul mois totalement végétarien que j’ai passé en Inde, sans jamais avoir envie de viande. Jusqu’à ce jour.
Avec un petit rien coquin qui craque – les noisettes !

Joli, n’est-ce pas ? Parfait sur le sapin de Noël. Acidité, rondeur, douceur, crémeux…ce petit navet farci de navet (?) est terriblement détonant.

Je ne l’ai pas goûté, c’est mon compagnon de table qui l’a eu.

J’étais très sceptique sur la pertinence d’un légume rouge haché pour « remplacer » du bœuf. Un légume qui me rappelle toujours mes pires cauchemars à la cantine de l’école.
Mais ça, c’était délicieux, exquis. Le goût – et même la texture – du tartare du bistro, piquant, un brin aggressif, épicé, moelleux, plus raffiné, plus doux aussi. J’adore.

Merveilleuse tarte que voilà, la pâte légère, fine et infiniment croustillante, les oignons fondants, confits, presque sucrés.

Ah ! Enfin des animaux. Sous la pression de tant et tant de racines bien que vraiment excellents, je commençais tout de même à avoir furieusement envie d’un petit bout de bête.
L’encornet n’est certes pas un steak mais m’apportera cette satisfaction. Plus que la toute petite moule exquise mais… petite, quoi.
En réalité, ce que j’ai aimé par dessus tout était l’unique pomme de terre. Fumée, elle est moins douce que ce à quoi on pourrait s’attendre, mais a un parfum presque sauvage, presque « viande » et charcutaille. La fumée peut-elle apporter autant de goût ?

Enfin, un bel animal qui ne sort pas de la terre. La cuisson et la sauce sont évidemment excellents mais le produit est juste génial.
Je n’aime pas beaucoup les soles « doubléees », les deux filets superposés et comme collés ensemble. Nul besoin d’artifice du genre quand la sole est si exquise. Ferme, juteuse, avec le goût de la mer très douce, peu profonde, peu iodée, peu saline mais froide. Une mer dans laquelle un vrai poisson a nagé de tout son corps, ses muscles tonifiés à la fois par l’exercice et le froid.
Que c’est bon…Muets, tout à la dégustation de la bête, nous nous sommes regardés avec un soupir de satisfaction.

Fabuleuse cuisson sur un produit merveilleux. C’est bon la viande quand même… Mais le feuilleté d’endive est tout aussi succulent. Ainsi que le légume vert dont la « feuille » était croustillante presque brûlée, et la « tige », parfaitement à point. Le tout uni par un jus à l’hibiscus élégant comme un parfum.

Géniale volaille. Magnifique, avec une peau croustillante et grasse, une chair tendre mais ferme. Un jus parfait. Une purée de butternut qui apporte douceur et réconfort. Poulet rôti et purée, mais très sérieusement revisités.



Merveilleuse mignardise qui ne fait même pas la taille de mon pouce. À croquer pourtant, juste pour le plaisir de briser ce feuilletage beurré à souhait.

Quand la technique est au service du cuisinier.
Le millefeuille est mon gâteau préféré et celui-ci était tellement parfait. Un feuilletage qu’on a laissé gonfler – que je préfère de loin aux feuilletages à la mode que l’on écrase pendant la cuisson pour obtenir un effet plus uni et propre.
Son seul défaut : d’être trop petit.
Arpège
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Fermé samedi et dimanche.