L’Orangerie

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Honnêtement, je ne m’y attendais pas.

Cela se passe à Paris, à l’hôtel George V. Il y a ici un grand espace qui s’appelle la Galerie. On peut y déjeuner, goûter, prendre un thé ou un verre, à toute heure. C’est luxueux, ostentatoire et très très cosy.

Autrefois, sur le côté de cette Galerie, il y avait une sorte de terrasse extérieure, en haut des trois marches qui descendent à la très belle cour intérieure. Un lieu un tantinet bancal où on pouvait consommer plus ou moins la même chose qu’à la Galerie sans l’ultra-confort de celle-ci.

Depuis cet été, cette terrasse a été recouverte de verre. Cela donne une sorte de véranda, qu’ils ont nommé l’Orangerie.

Je suis passée devant plusieurs fois, en me demandant si on y est bien assis. Car cela me faisait penser un peu – un tout petit peu – à un placard aménagé, comme si l’hôtel avait voulu ajouter des places, un peu à l’étroit mais tant pis, pour y caser quelques clients supplémentaires de la très populaire Galerie.

Le chef de l’Orangerie est David Bizet. Je l’avais déjà croisé il y a quelques années dans les cuisines de l’hôtel, à l’époque où il était l’un des chefs / sous-chefs / chefs-adjoints du chef (je m’y perds dans les grandes brigades avec tous ces chefs qui sont tous des chefs…).

Sauf que voilà. David Bizet vient de gagner le premier championnat du lièvre à la royale. Auquel avait également participé Karen Torosyan que j’ai beaucoup apprécié (voir mon expérience ici).

 

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Alors là. Ça ne rigole plus. Le lièvre à la royale est le plat que les cuisiniers veulent tous faire. Technique, classique, avec du gibier, plein de sang et des réductions à souhait. Un plat dont l’exécution parfaite fait rêver tous les cuisiniers de cuisine française de France et du monde.

Grosse motivation pour réserver à l’Orangerie.

Nous étions 4, pour un déjeuner d’automne. Première surprise. On est bien assis à l’Orangerie – on y est même très bien. Intime, avec ses 20 couverts maximum, du verre à droite, en face, au fond et au-dessus, le lieu est forcément très clair et donne envie de s’y poser sous la pluie (pour voir les gouttes tomber sur nos têtes sans être mouillé), sous la neige (parce que c’est bientôt Noël), sous un ciel gris (parce que c’est Paris).

Deuxième surprise. Ce n’est pas un placard. Le Four Seasons Hotel George V a adopté une politique et un objectif intéressants. Le « grand » restaurant – le beau et très cher – reste toujours le Cinq, avec le chef Christian Lesquer, 3 macarons Michelin. L’Orangerie et un autre nouveau restaurant, le George, viennent non en « subordination » mais à « égalité ». Donc maintenant dans ce palace parisien il y a trois restaurants distincts, indépendant les uns des autres, avec chacun son chef, sa vaisselle, son service et bien sûr sa carte.

L’objectif étant d’aligner un maximum d’étoiles Michelin dans un même hôtel, au lieu d’avoir un grand étoilé pour le turbot et le caneton, la cafèt pour la salade césar et le bar pour le croque-monsieur.

Pari osé en ces temps de crise – les palaces parisiens sont au plus mal, ce n’est pas un scoop.

Troisième et plus importante surprise. La cuisine. Ah ça, je n’en reviens pas.

Soignée? Évidemment.

Belle? Infiniment.

Haute couture? Absolument.

Ai-je aimé? Énormément…

J’ai très envie d’y retourner demain.

Note: … et je n’ai même pas mangé le lièvre à la royale de compèt.

 

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Un feuilleté léger sans être trop croustillant. Devant cette texture superbe, le mot « volupté » me vient, spontanément. Un feuilleté aussi fin et large qu’un doigt, voluptueux? Ne riez pas, c’est vrai. Subtilement salé et parfumé de zeste de citron vert, parfait pour une mise en appétit.

Il y a quelqu’un qui sait faire de la pâtisserie ici…

 

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Tartelettes de citron et poire. Sablé de truffe et olive noires.

Je disais donc, il y a quelqu’un qui sait faire de la pâtisserie ici… et cuisiner aussi, tiens donc.

 

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Mousseline de pomme de terre, champignons marinés, truffe blanche.

Plat confort par excellence, fondant comme une purée très fine, avec un bon parfum de champignons. On imagine une terre d’automne, brunie par les feuilles, moite avec la bruine, sentant bon la terre humide, quelque part en Normandie ou dans la Loire. Quelque part mais en France, où la pomme de terre est aimée, comprise et choyée.

Et la truffe blanche. Ça aide toujours.

 

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Langoustine pochée aux agrumes, écume de riz, caviar et chips de riz.

Tout d’un coup, un certain exotisme. Oui, même pour moi, car le riz est inattendu, ici, sous cette forme. Comment imaginer le riz en mousse, en vapeur, presque en gelée mais pas encore, lisse comme un caramel, fondant comme une crème? Après la première surprise de la texture vient un parfum acidulé, raffiné. Agrumes? Très certainement. Et la langoustine – pochée? Dont aucune croûte de cuisson dorée ne vient déranger la douceur. Une sorte de beauté de la mollesse… Avec le joli accent croquant de la galette de riz.

Original sans être bizarre, si j’ose dire. Et en ces temps de cuisine incertaine, résolument beau.

 

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Saint-Jacques de Normandie, chips de topinambour, sauce châtaigne et châtaigne rôtie.

Je suis en extase devant la cuisson parfaite de la Saint-Jacques. Ni trop cuite, ni trop crue mais carrément corsée. Saisie, bien fermement et d’une main de maître, avec un bon parfum de grillé. En contraste, vient la douceur de la sauce, ronde, riche, goûteuse, qu’on roule dans la bouche jusqu’à ce qu’elle disparaisse, à notre grand regret. Quelques bienheureuses lamelles de truffe blanche – c’est la saison et le parfum est envoûtant.

Le petit plus qui m’a vraiment réjouie… la châtaigne rôtie et glacée.

« Elle est vaaaachement bonne, la châtaigne » remarquai-je au maître d’hôtel qui vient débarrasser l’assiette.

« La châtaigne, madame? Elle est rôtie et glacée » me dit-il, l’air surpris.

Évident mon cher Watson. Bah, comme si tout le monde faisait des châtaignes comme ça.

À ne pas confondre avec un bête marron glacé. Cette châtaigne est dure sous la dent. Elle n’est pas tant croquante que vraiment dure, comme un bonbon. Puis, tout d’un coup, elle cède et se brise dans la bouche. Chaque petit morceau est sucré, comme gentiment enrobé dans du caramel, sans que le sucre ne prenne jamais le dessus. C’est bien une châtaigne, avec une texture de châtaigne et un goût de châtaigne. Une friandise de saison dont on voudrait un gros sachet à grignoter en rentrant de l’école ou chez soi avec un petit verre judicieux pour les plus grands – quelle gourmandise!

 

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Homard de Grandcamp, jus de homard, salsifis, sphère de jus d’herbes, trompettes et chanterelles.

Le homard fait toujours un peu peur car il n’y en a jamais assez au restaurant. Produit cher et noble, il est souvent servi en « boule », je veux dire par là, un morceau, un peu rond (forcément, vu la forme), un peu dodu, mais petit quand même, qui fait tout au plus deux bouchées, à mâcher religieusement car notre portefeuille va être sacrément allégé pour si peu.

À l’inverse, lorsqu’il est coupé en lamelles, il n’est pas bon car le homard demande de la mâche. Enfoncer les dents dedans, faire bouger la mâchoire pour extraire les sucs, les jus, le goût, tout en appréciant la texture des fibres assez grosses et présentes, comme une pièce de bœuf.

Sacré chef ! Car le homard ici est coupé à l’épaisseur idéale. Ni trop fin, ni trop épais. Ni trop viandard, ni trop fade. C’est bon, très bon et se marie à merveille avec les salsifis, leur côté terre-à-terre et leur texture douce.

Et cette sphère d’herbes, pour une fois, ne présente aucun arrière-goût de sphérification. On en oublierait presque la cuisine moléculaire, pour apprécier ces herbes liquides, comme une sauce, comme un condiment, qui viennent épicer le crustacé.

 

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J’avoue que j’étais vraiment heureuse qu’on me serve un pigeon et non le lièvre.

Le pigeon est peut-être ma viande préférée. J’adore le pigeon. Et celui-ci est exquis. Sa cuisson est absolument incroyable. Rosé, rouge, saignant, juteux, goûteux, tendre…. La sauce d’olives noires et de truffe exprime haut et fort son caractère affirmé bien que très rond. On dirait un bon gentil bourgeois de Balzac. Les quelques myrtilles apportent une touche fruitée extrêmement juste et plaisante.

J’aime vraiment, beaucoup, beaucoup.

 

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Doyenné du Comice, glace à la truffe blanche.

En 2007, Camille Lesecq alors chef pâtissier au Meurice (quand Yannick Alléno était chef), avait fait un dessert que je n’ai jamais oublié. Truffe blanche, chocolat blanc, c’était une véritable œuvre d’architecture, aussi surprenante à l’œil, qu’en parfums, qu’en saveurs. Depuis, j’ai probablement goûté à des centaines de desserts à la truffe blanche. Aucun ne m’a paru aussi réussi que ce petit dessert d’aujourd’hui, à l’apparence assez banale, par la texture juteuse de la poire crue, son sucre finalement assez doux, son acidité très légère, le tout dans un accord éclatant avec le parfum de la truffe. Pendant un court instant, je suis restée figée, bouche bée, n’osant y croire tellement l’équilibre était détonnant. Mes compagnons de table ne paraissant toutefois pas aussi subjugués, était-ce moi seule, sous l’emprise du repas dans son ensemble, qui avais été si fortement impressionnée? C’est tout à fait possible. On refera un essai. Rien que pour voir.

 

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« Fleur de vacherin » nous annonce-t-on, pour poser devant nous une rose blanche de pétales de meringue, pamplemousse et citron vert, sorbet d’herbes fraîches.

Bigre! Il y a vraiment quelqu’un qui sait faire de la pâtisserie ici… et pas que des pâtes.

Ce dessert est peut-être le plus magnifique que j’ai vu cette année. Visuellement, il est splendide. Féérique, on n’oserait presque pas y toucher. La Belle au bois dormant et Cendrillon tout-en-un, enveloppées de dentelles ou ainsi m’a-t-il paru. On casse délicatement cette construction de pétales de meringue pour découvrir en dessous des lamelles de pamplemousse délicatement rose, avec au milieu, une bonne cuillerée de sorbet tout froid. Brrrrr, j’en ai des frissons ! Car il y a une nette amertume, contrebalancée par la douceur de la meringue, dans un équilibre insensé avec l’acidité du fruit. Que c’est frais, que c’est beau et que c’est bon!

 

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Le service est excellent, comme partout ailleurs dans l’hôtel. Amical, aimable, souriant et infiniment confortable, il est tout à fait « palace » sans lourdeur ni hauteur. Je me suis toujours demandée comment ils faisaient ici pour que chacun conserve son caractère, tout en étant capable tous, sans exception, de vous mettre parfaitement à l’aise, enveloppé dans le confort le plus absolu.

En résumé, des placards comme ceux-ci, on en voudrait tous les jours de l’année…

 

Restaurant l’Orangerie
Four Seasons Hotel George V
31 avenue George V
75008 Paris
Tél: 01 49 52 72 24

Menus 95€ et 125€. À la carte 110€ environ.