Kei 3 diners d’hiver. Sec ou moite, le poisson?

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Bar rôti en écailles, agrumes confits, anguille fumée

Ce plat est l’un des plats signature de Kei. Et aujourd’hui, comme pour l’artichaut en beignet, la chaleur me surprend.
Ce bar, je l’ai mangé plusieurs fois. Mais c’est la première fois qu’il est vraiment très très chaud. Eh bien, ça fait toute la différence.

Il me semble que ce serait plutôt poêlé que rôti…mais peu importe. Je ne sais pas comment on obtient ce résultat avec les écailles…mais on s’en fout aussi. Croustillantes sans le goût de friture d’une pâte à beignet – même de tempura, elles forment une sorte de délicieuse croûte.
Ce poisson est bon, très bon, en grande partie parce qu’il est salé avant cuisson. Cela n’a l’air de rien, mais je retrouve là le shio-yaki japonais, c’est à dire une technique ou plutôt une habitude, car elle est pratiquée par n’importe quelle ménagère au Japon, de toujours saler le poisson avant cuisson sur la flamme. D’où shio=sel et yaki=grillé (en principe avec une grille sur le feu, comme un barbecue). Le but est de saler évidemment, mais surtout, d’enlever l’excédent d’eau du poisson pour lui enlever le “mauvais goût” poissonneux (important pour les poissons bleus comme le maquereau et la sardine) et en même temps, de le raffermir (très important pour les poissons blancs comme le bar, la daurade etc). Le poisson ainsi raffermi a plus de goût.

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Bar rôti en écaille, bouillon de d’anguille, shiitaké

Kei me disait un jour qu’il préférait cuisiner les poissons blancs non parce que ce sont des poissons plus “nobles” dans la cuisine française (turbot, bar, saint-pierre…) mais “par défaut”. Car le maquereau, la sardine, le chinchard et tous ces poissons qui ne sont pas du tout valorisés en Occident, doivent être super frais – d’une fraîcheur rare à Paris, même dans la grande restauration. De plus, pour un Japonais, les poissons bleus devraient être ce que nous appelons “shimé” c’est à dire salé et reposé (à la japonaise comme diraient certains) ce qui leur enlève leur côté poissoneux. Mais là, toujours pour un Japonais, difficile de rivaliser un bon sushi.

Pour son plat signature de bar, Kei choisit des poissons qui sont plutôt presque pas assez gras. Cela exclut tout risque de se retrouver à dresser sur l’assiette un poisson trop gras qui pourrait devenir un peu vulgaire… Les condiments d’agrumes (petits points jaunes, oranges…) et les agrumes confits (mini quartiers d’agrumes comme le mikan, de l’orange confite, du pamplemouse, etc ad lib…) apportent de l’onctuosité, du sucre, de l’acidité et de l’amertume, qui compensent le manque de graisse sans alourdir le plat.

Dans le bouillon, qui est encore un essai, le principe reste le même mais ici à la place des condiments d’agrumes et de l’onctuosité, on a le velouté des lamelles de shiitaké, une texture en bouche très souple. Et un bouillon… je m’attendais à ce que ce soit du dashi mais non. Le dashi japonais est en quelque sorte, linéaire. Par définition, c’est une extraction pure de l’essence du kombu et/ou du katsuobushi, mais n’aura donc pas la richesse d’un bouillon de volaille. Ici, le bouillon est beaucoup plus épais et laisse une sensation très très légèrement sirupeuse. Pour moi la principale différence entre un dashi de kombu et un bouillon de volaille, à part le goût bien sûr, c’est la consistance. Le premier est fin comme de l’eau, l’autre est plus épais. C’est subtil mais ça vient du collagène. On aura la même texture avec un dashi de daurade, où on utilise les arêtes et la tête du poisson. Et c’est ce qui remplace la graisse dans ce plat en donnant au poisson beaucoup de rondeur.

Dans les deux plats, une seule petite lamelle d’anguille fumée. Ferme, croquante, grasse…et fumée, évidemment. Elle apporte une dimension un peu « prolétarienne », me fait penser aux bistrots décrits dans les Simenon, où se balade Maigret pipe au bec. Les bistrots d’autrefois, avec la sciure au sol. C’est ce côté «peuple» que Kei aime bien ajouter, peut-être pour ne pas tomber dans une délicatesse excessive.

Mais toujours, un fragment d’agrume confit, qui apporte une note frivole.On arrête de faire la tronche, ce n’est plus l’hiver et, voilà. Souriez.

(suite à venir…)