En voilà un qui ne surfe absolument pas sur la vogue de la bistronomie, ni sur le regain de popularité de la cuisine bourgeoise avec sa carte qui fait hésiter.
Il reste obstinément sur le menu unique à rallonge, la grande cuisine et ses dressages surprenants. Et pourquoi pas ? Car c’est un style qui lui va bien.
Kei Kobayashi joue-t-il dans le registre de la grande gastronomie ? Non, pas tout à fait. Je dirais plutôt, de la fine gastronomie. La gastronomie est déjà fine, me direz-vous. Mais ici, elle l’est encore plus. Sans aucune faiblesse ni fragilité. Les lignes du goût sont plus épurées et nettes qu’avant. Ce goût-ci ? Non, me répond clairement l’assiette. Ce sera celui-là et pas un autre. Ça et ça, mais pas ça. Tout est clair, compris et maîtrisé.

Je les connais bien, ces amuse-bouches, la gougère légère et croustillante, légèrement salée; la tarte aux sardines dont la crème coule et me fait sucer mes doigts à chaque fois.

Celui-ci aussi. Au début, c’était une verrine de jus de shiso pourpre. Un jour, il s’est transformé en cube glacé. Mais en bouche il devient vite liquide, limpide probablement aussi. Je retrouve une saveur qui me rappelle mon enfance, celle des chewing-gum à la prune japonaise. Quand j’ai dit ça au chef, il a fait la grimace: évidemment la comparaison n’est pas élégante. Mais quand dans un restaurant classieux on vous sert des parfums comme ça – fraises Tagada, nounours en guimauve – n’êtes-vous pas contents, vous aussi ?

Je suis moins fan de ces amuse-bouche très végétaux, probablement parce que les légumes – vous savez que ce n’est pas mon truc. Daikon, carottes râpées et betteraves rouges crues râpées. Une bouchée saine, oui. J’ai l’impression d’avoir fait ma bonne action du jour pour la planète.

Ça, c’est nouveau. On dirait une crème… mais non, c’est plus solide. Un bavarois vert comme le printemps, aux saveurs riches mais fraîches. Un parfum d’épice, au loin… Oh! C’est le curry, qu’on aperçoit dans les gouttes d’huile, un brin d’exotisme chaleureux. En dessous, quand on plonge sa cuillère, la chair de crabe apparait, parfaitement émiettée, ni trop chichement, ni trop lourdement. C’est bon, très bon.
Je vais me régaler aujourd’hui, je le sens.

Chez nous, quand j’étais enfant, il y avait toujours des vins d’Alsace de la maison Faller car ma mère les aimait tout particulièrement. Un jour, Madame Colette Faller lui a envoyé un seau plein de choucroute. Le seau était vert, en plastique tout bête. Dedans, il y avait la meilleure choucroute de ma vie. Je n’en ai jamais retrouvée d’aussi bonne… Alors, à chaque fois que je vois cette étiquette, je rêve de choucroute.
Un grand vin, mais ça vous le savez déjà.

Le chef sait que je n’aime pas les légumes. Un jour, j’ai eu le malheur de lui dire que sa « salade » est fort bonne avec ses légumes de saison crus, légèrement cuits, confits, frais, croquants ; assez riche, avec ses trois mayonnaises aux parfums acides, douces et salées ; et surprenante, avec son bout de saumon très légèrement fumé maison, enfoui sous tout.
Mais j’en ai un peu marre de manger des végétaux. Ne pourrais-je pas avoir une huître à la place ?
Non seulement je n’ai pas eu mon huître, mais depuis, il fait exprès de me servir la salade à chaque fois. Sauf qu’il ajoute maintenant un deuxième bout de saumon. Alors à force, j’ai compris qu’il fallait y aller à la hache. C’est à dire tout couper en petits morceaux, tout mélanger sauvagement, tout manger à la cuillère. J’ai découvert qu’elle n’est pas bonne, cette salade, mais sacrément délicieuse.
Ne pas essayer de respecter les belles constructions sur l’assiette. Encore faut-il oser tout casser.

J’aime ces lourdeurs, riches et voluptueux, de fromage, de lard, de jus de viande. Croquante, l’asperge est grillée tout simplement, elle a du goût, de la mâche et le léger fumet du feu. Le comté est bon, plein d’umami, qui gratouille un peu le palais. La panure japonaise – du pain râpé moins menu qu’une chapelure française – donne des textures parfois sèches, parfois humides, selon qu’elle ait plus ou moins absorbé le jus.

Magnifique rouget qui était énorme, dit le chef. La cuisson est on ne peut plus juste. Toute simple, cest vraiment le meilleur moyen de l’apprécier. Un peu de piperade pour le soleil, un peu d’ortie pour la terre, un peu de citron pour l’élégance. Un plat dont on ne se lassera jamais.



Géniaux premiers petits pois, enrobés de burrata crémeux. Les langoustines sont autant de bouchées juteuses au goût très très légèrement marin. La sauce homardine apporte beaucoup de goût et un certain air de classicisme bienvenu.



J’adore, mais j’adore ces pommes de terre ! Toutes petites, elles sont sucrées comme des chouquettes, avec une peau qui craque délicatement, plus fragile que celle d’une cerise mais aussi tendue. En dessous, une chair fondante comme une pomme à l’eau mais avec le goût en plus. Le grain de cette chair est tellement fine, on dirait une purée passée au tamis. La dernière fois que j’ai mangé des pommes de terre comme cela, c’était à Noirmoutier. Ah tiens ? Elles viennent de là-bas ? Ben oui…
Le pigeon reste une des viandes que je préfère, et celui-ci est parfait. Cuisson parfaite, juteuse comme il faut, avec le sel et le sucre d’une marinade au miso. Parfaite aussi la cuisson de la peau, carbonisée par moments pour un jeu de textures et des pointes d’amertume. Génial.

On ne dirait pas comme ça…mais c’est à la fois très concentré en saveurs et très frais. Lisse et souple en bouche, un très joli gras et une acidité tout en rondeur.

C’est très très rare que je sois émue par un dessert. D’habitude, c’est le moment du repas où j’ai envie de m’enfuir. Surtout quand le dessert a l’air compliqué, difforme, architectural et me donne froid aux dents rien qu’à le regarder.
D’abord, j’ai cru qu’on m’avait apporté du film alimentaire froissé. Mais je le touche et il est dur. Ou plutôt, très friable, cassant, croustillant. On me parsème dessus des petits machins rouges.
Je plonge ma cuillère à contrecœur… Mes yeux s’ouvrent tout grands. Le « film alimentaire » est du sucre très très fin, d’une immense fragilité, infiniment léger et fondant, un peu comme ce que j’ai toujours imaginé pourrait être la texture d’un flocon de neige sous le microscope. Dedans et un peu partout, des petits bouts d’agrumes, qui pétillent de jus. Du jus plus sucré par ici, plus amer par là-bas, plus acide dans ce coin là, avec à chaque fois le bon croquant de l’agrume très frais, et ses milliards de petites poches prêtes à exploser. Paf! Fait le jus. Paf! Paf! Encore un! Et que c’est délicieux…


Très belles fraises, encore peu sucrées mais très parfumées.
Mais après le dessert précédent, difficile de maintenir le niveau. À revoir donc.

Et ainsi se termina un très beau déjeuner…
Kei
5 rue du Coq Héron
75001 Paris
Tél: 01 42 33 14 74
Fermé dimanche, lundi, et jeudi midi.
Menus déjeuner:
55€ avec 4 plats salés et 1 dessert.
120€ avec 6 plats salées, 1 fromage et 2 desserts.
165€ avec 6 plats salés dont 1 caviar et 1 bœuf, 1 fromage, 2 desserts.
Menus dîner:
99€ avec 4 plats salés, 1 fromage et 2 desserts.
145€ avec 6 plats salés, 1 fromage et 2 desserts.
195€ avec 6 plats salés dont 1 caviar et 1 bœuf, 2 desserts.
* Au dîner, les portions sont plus importantes et les produits plus nobles.