Botanique Restaurant

Hier, je reçois un message de la part du chef Sugio Yamaguchi, de Botanique Restaurant, où j’avais déjeuné il y a tout juste deux semaines.

Pour zapper le très long préambule et aller directement au menu, cliquez ici.

C’était une photo et quelques phrases laconiques : « Je fais des essais discrètement depuis la semaine dernière et aujourd’hui le résultat me plait un peu. Si vous avez le temps de passer aujourd’hui ou demain, ce serait avec grand plaisir. »

Voici la photo :

©Sugio Yamaguchi
©Sugio Yamaguchi

Je lui réponds.

« Bonsoir. Je pense que vous vous êtes trompé de destinataire. »

J’ajoute, pour être un tout petit peu aimable.

« Votre plat a l’air très intéressant. »

J’ai évidemment pensé qu’il écrivait à un confrère ou son ancien chef pour lui faire part d’un nouveau plat. Mystérieux ovni, le truc ne ressemble à rien. Polenta dans une sauce ? Nouveau concept de calzone au gravy ?

Il me dit :

« La dernière fois que vous êtes venue, vous aviez dit que vous vouliez manger un coq au vin. Moi-même, je n’en ai jamais mangé, je n’ai que de vagues souvenirs d’avoir appris ça à l’école d’hotellerie au Japon. J’ai lu des livres et j’ai fait des essais mais je ne sais pas du tout si c’est ça que vous imaginez. »

Moi : « Mais votre plat ne ressemble pas à un coq. C’est la polenta qui vient avec ?  »

Lui : « Non, c’est la crête du coq. »

Ahhhhhhhh. Vous auriez compris, vous ?

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Ben oui, c’est vrai. Cela fait au moins 5 ans que je réclame partout un coq au vin.

C’est un plat que j’aimais beaucoup, enfant, quand nous allions à la Brasserie alsacienne dans l’ïle Saint-Louis, où j’ai grandi. Il y avait un coq au vin sur la carte, pas au Riesling, mais au bon vin rouge. La viande était blanche et sèche mais pour une fois, cela ne me dérangeait pas. Quand le plat arrivait, il était sombre et épais comme du chocolat noir fondu qu’on aurait trop fait chauffer. Dès que je coupais la viande, elle apparaissait, surprenante de blancheur sur ce fond de sauce bitumeuse. Je la coupais en petits morceaux que je mêlais bien à la sauce, formant ainsi partout dans mon assiette des petits tas immondes absolument délicieux.

Puis le coq au vin est passé de mode. Pendant 30 ans je n’en ai mangé qu’un ou deux, de pâles imitations, faites dans la précipitation pour les dollars faciles des touristes.  J’ai beau en réclamer à mes copains cuisiniers, personne ne m’en a jamais fait. Tous disent « ah oui, un coq au vin » en hochant savamment la tête. Je voyais bien que l’idée ne les enchantait guère. Ce sont des plats d’autrefois, qui demandent du temps, du travail, qu’on ne peut pas vendre cher et que les clients boudent : trop lourd, trop indigeste. Trop vieux, quoi.

Et ce très jeune cuisinier japonais qui prend mes paroles pour argent comptant… Vous voyez bien que j’étais obligée d’y aller « aujourd’hui ou demain. »

Après avoir fait le tour de mes copains pour voir qui voudrait venir manger un coq expérimental demain « ça me tenterait bien mais la semaine prochaine » « c’est lourd, tu ne veux pas plutôt samedi soir? » « t’es sûre qu’il sera bon ? » me voilà donc attablée avec le seul homme fiable sur terre. Mon époux.

Chez Botanique Restaurant.

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Un nouvel établissement mi-bistrot, mi-bar à vins, mi-resto gastro, dans un ancien bâtiment joliment aménagé. À deux pas de République, dans le 11ème arrondissement.  Les deux associés sont Sugio Yamaguchi, jeune chef né à Tokyo, anciennement chef chez Pierre Sang à Oberkampf, et Alexandre Philippe, juriste, œnologue et passionné de vins qui dirige le restaurant et le service. J’avais découvert le lieu le 8 mars lors d’un dîner à 4 mains avec Xavier Pensec de Hinoki, Brest, et j’y avais déjeuné avec un copain trois jours après, le 11.

Je ne pensais pas y retourner de sitôt.

Je sortais d’une réunion chez un éditeur en banlieue où on m’avait gentiment servi un gobelet en carton rempli d’une eau brunâtre et tiédasse. Évidemment, j’étais en retard, donc rien à grignoter même pas un croissant. À jeun comme un moine bouddhiste, je suis arrivée affamée chez Botanique.

Mon mari tarde à arriver et quand j’ai faim, j’ai faim.

Le chef vient me saluer.

« Bonjour madame Masui, merci d’être venue. Comment allez-vous ?

— J’ai faim, lui répondis-je, un tantinet brusquement.

— Je vais vous servir quelque chose vite fait.  »

Et il tourne des talons.

Rapide et efficace. Ce garçon est une crème… Il revient aussitôt avec une bonne tranche de terrine de canard.

Il me l’avait déjà servie la dernière fois : j’avais été impressionnée par le classicisme et la richesse de texture de cette terrine, simplement accompagnée de quelques feuilles de salade fort bien assaisonnées. La mâche des morceaux de viande, le fondant du gras, l’autre fondant du foie, le croquant du champignon, puis la plénitude des saveurs…tout ça par un cuisinier qui me raconte que quand il était commis, on lui avait dit « fais une terrine » et qu’il s’était fait engueuler parce qu’il ne savait tellement pas comment en faire. Il a recommencé jusqu’à ce qu’on ait arrêté de l’engueuler, quelques dizaines de terrines plus tard.

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Alexandre Philippe est un passionné discret, calme et réservé, qui devient carrément lyrique dès qu’il parle de vins. Après le repas, je lui avais demandé de m’envoyer un mail avec juste les noms des vins qu’il avait choisi au déjeuner car je n’avais pas pris de photos des étiquettes (donc oubli total).

« Florian Roblin et sa cuvée Champ Gibaut en appellation Côteaux du Giennois 2014 (à droite) et Clotilde Davenne et son Saint-Bris Sauvignon 2014 (à gauche).
Vivacité et végétalité avec les asperges relevées à la vinaigrette aux herbes.
Le domaine Gilles Bouton du hameau de Gamay (Saint Aubin) pour le Saint-Aubin 1er cru En Créot 2013.
Fluidité et acidité pour soutenir la force de la sauce du coq et une touche d’amertume pour coller au sel de la réduction.
J’aime ces trois vins pour leur franchise et leur simplicité. »

Moi aussi.  Si j’ai surtout aimé le premier pour sa netteté et sa vivacité, j’ai bien apprécié les trois. Les accords avec les plats étaient exquis, surtout avec les asperges.

Chef m’explique qu’ils ont un petit désaccord sur le pain.

Lui préfère le pain à droite sur la photo, qu’il sert à l’étage, dans la partie gastromique. Alexandre ne veut pas lâcher son pain à lui, qu’il sert donc en bas, au bistrot. Chacun son fief et son pain.

C’est un sujet très sensible en France. Mais je l’avoue ici, bien que ce soit totalement tabou : j’en ai un peu marre de trouver du pain « marron » partout où je vais. J’adore le levain, le complet, le semi-complet avec du bon beurre et pourquoi pas un peu de confiture ou de miel. Je l’aime bien avec une terrine ou plus généralement de la charcuterie. Mais je ne l’aime pas – ou très rarement – avec la cuisine.

Chez Botanique, je n’aime ni l’un ni l’autre. Même si l’un comme l’autre sont bons au goût, on se casse les dents sur la croûte du premier, et le deuxième part en miettes dès qu’on le touche.

Et avec de telles sauces, on a vraiment, vraiment envie de saucer, d’imbiber, avec un bon pain blanc.

À part le pain, tout le déjeuner était fabuleux. Même ce coq expérimental, qu’on n’aurait jamais cru fait par quelqu’un qui n’en avait jamais mangé de sa vie. Le chef nous l’a servi de deux façons : d’abord la cuisse avec sa très bonne sauce au vin, sans liaison, qui marchait à merveille avec la cuisse et la peau du coq. Puis le suprême (et la fameuse crête) avec la sauce cette fois plus corsée, plus acide et un tout petit peu plus amère, avec une rasade de vinaigre de Xérès et une liaison au sang.

Mon mari a préféré le deuxième. Sur le coup, moi aussi. Puis en rentrant chez moi, mon esprit a commencé à tourner en rond : lié ou pas lié ? Premier ou deuxième ? Le premier était très bon aussi…

Je crois que je vais dire au chef qu’il faudra en refaire pour que je puisse re-goûter les deux.

Nous étions très pleins après ce déjeuner, à tel point que le dîner a été un yaourt.

Voyez plutôt.

 

Le fabuleux menu de ce tout début de printemps, chez Botanique Restaurant.

 

Terrine de canard
Terrine de canard que j’avais coupé en deux pendant que j’attendais mon mari, me demandant si je pouvais commencer sans lui. Ou pas.

 

Les deux blancs
Les deux blancs.

 

Les deux pains
Les deux pains.

 

Choux de Bruxelles frits au piment fumé
Choux de Bruxelles frits au piment fumé. C’est la deuxième fois que je mange ce plat, j’adore. À mi-chemin entre la salade et la friture qu’on picore, c’est corsé, gras, frais, audacieux, avec une légère amertume et un parfum de piment fumé qui ne pique pas au goût.

 

Asperges blanches
Asperges blanches dans leur cocotte…

 

Asperges blanches aux herbes
… et les asperges blanches avec la vinagrette d’herbes. Ce plat est juste génial. Parfums de menthe, coriandre, gingembre… C’est frais, doux, très vert et parfumé, fondant aux pointes, croquant aux tiges. La vinaigrette pénètre doucement entre les fibres naturellement sucrées des asperges et les complètent en leur donnant du parfum, du sel et de l’acidité. Accompagnées d’une tasse d’eau de cuisson qui était surprenante de goût.

 

Coq au vin 1er service
Coq au vin 1er service. Vraiment excellent. Les petits disques de toasts généreusement beurrés étaient juste exquis, bien imbibés de sauce.

 

Morilles, petits champignons, oignons et ail
Morilles, petits champignons, oignons et ail. J’adore l’ail en cheminse… j’ai cru d’abord que les petits machins étaient des sortes de noisettes exotiques. En fait, c’était des tous petits champignons taillés.

 

Coq au vin 2ème service
Coq au vin 2ème service. C’est épais, c’est onctueux, c’est bon !

 

1/2 crête de coq, purée de pommes de terre, truffe
1/2 crête de coq, purée de pommes de terre, truffe. La saison de la truffe est vraiment finie, et ici elle n’était pas vraiment nécessaire. J’aurais préféré plus de purée à la place, pour la mêler à la sauce.

 

Gratin de pommes de terre
Gratin de pommes de terre. Très fin, il pourrait être plus créme, plus ail, plus familial peut-être. Mais je l’aime bien comme il est, car les plats sont très costauds. Ça passe infiniment bien et permet justement aux papilles de souffler entre les sauces réduites et concentrées.

 

Tarte aux pommes
Tarte aux pommes tiède. Sous le paillasson de pommes, il y a une pâte vraiment très bonne, légère et fondante, remplie d’une chaude confiture de pommes. C’est excellent. Je me serais bien passée du paillasson, trop caramélisé, la glace au caramel et la sauce au caramel également. Un peu répétitif.

 

Sugio Yamaguchi
Chef Sugio Yamaguchi. Une copine dit qu’il ressemble à Bruce Lee.

 

Botanique Restaurant
71 rue de la Folie-Méricourt
75011 Paris
Tél: 01 47 00 27 80
Fermé dimanche et lundi.
Menus déjeuner à 19€ et 24€, dîner à la carte ou menu carte blanche à 60€.