Aujourd’hui, j’ai déjeuné chez l’homme parfait.
Le lieu se nomme « Anicia » et j’ai cru que c’était un nom de fille. Il s’avère que c’est non seulement l’ancien nom de la cité d’Anis (le vieux Puy) mais c’est aussi LA lentille, du type qui se mange, pas de celles qu’on met pour mieux voir. Verte évidemment.
L’homme, c’est François Gagnaire. Fin dans ses gestes et de sa personne, ce cuisinier est presque féminin – et ça, messieurs, c’est un compliment – dans sa délicatesse. Vers la fin de notre déjeuner, une toute jolie jeune fille, dans la fleur de l’adolescence, est passée au restaurant. Un livre à la main dont elle devait lire 150 pages pour demain.
Avouez, mesdames, qu’un monsieur grisonnant qui s’entend avec sa fille ado, sans un gros mot, sans un geste bourru, avec un regard débordant de tendresse et d’amour, un peu nerveux devant son bébé qui a grandi, mais qui se retient tout juste pour ne pas devenir papa-poule, c’est absolument craquant.
En plus, il cuisine bien. Alors… l’homme est parfait.
Sa cuisine est comme lui. Aimable, souriante, sensible. C’est rare, un cuisinier qui ne vous submerge pas sous une rafale de paroles… qui ne vous stresse pas, qui vous écoute et parle à son tour, sereinement. Sa cuisine aussi laisse la place au client, de se détendre, posément, calmement.
D’être bien.
Si vous avez l’habitude de me lire, si vous me connaissez un peu, vous savez que je n’aime pas la campagne. Je n’aime pas ce risque permanent de tomber sur une chèvre à un coin de chemin, ces bruits des arbres qui font peur la nuit, ce coq qui chante le matin comme un damné. Je n’aime ni le froid des montagnes ni la chaleur des près.
Pourtant lorsque François Gagnaire m’a parlé de sa lentille verte du Puy, cela m’a donné envie d’y aller. Sa cuisine est comme une cascade d’amour pour son pays. On y rencontre des fromages rugueux et bons, des escargots petits et charnus, un cochon génial… Et de la lentille, de la lentille, et encore de la lentille. La lentille sous toutes ses formes possibles conjuguée à l’infini. En farine dans le pain, crémeux dans un velouté, le caviar du pauvre n’a jamais revêtu autant de visages, du plus rustique au plus noble.
— Tous vos produits viennent de chez vous ? lui demandai-je incrédule.
— Non pas tout, nous n’avons pas encore de Saint-Jacques là-bas. Mais j’essaie de rester dans la région.
- Caviar du Velay, qui se mange sans faim, à la petite cuillère même s’il est accompagné de jolis blinis moelleux. Si elles n’avaient cette forme légèrement aplaties, les lentilles rouleraient sur la langue, enrobées d’une gelée savoureuse et fine, pour être broyées entre les dents, délicieuses dans leur double caractère ferme puis tendre, lisse puis juteux.
- Foie gras aux anchois de Collioure, salé et frais, rafraichi par de petits cubes d’agrume et adouci par une petite pile de pain toasté.
- Risotto carnarolli, dont les grains, gros et ronds, sont parfaitement cuits – ici les cuissons sont totalement maitrisées, cela va de soi – avec un turbot généreux et ferme, qui s’entoure d’un beurre blanc d’une efficacité redoutable et un petit goût de fromage…clin d’œil au parmesan ? Beaucoup plus que cela puisqu’il s’agit d’un fromage du pays. Chauvinisme ? Ô combien délicieux !
- Saint-Jacques accompagnées de pâtes, là encore, généreuses, avec une mâche al dente qui contraste avec celle des salsifis fondants et fibreux à la fois, et un petit bout de poire qui fait « coucou ! » croquant dans sa peau.
- Poitrine de cochon superbe de croustillant, gras et fin. Un plat dont la chair du cochon, la feuille de chou et l’oignon se mâchent vraiment, chacun offrant sa texture. Paysan ? Oui, avec ce que ce mot implique de fermeté, de poigne, mais aussi de tendreté et de chaleur.
- Marron Imbert avec un parfum de whisky et une glace au topinambour, surprenante de rusticité de goût, d’élégance de saveurs.
Tout était bon. Quand le locavor-isme est exprimé ainsi, je suis tout à fait pour.
Puy-en-Velay est la capitale du pays de Velay, dans le département de la Haute-Loire (je viens de voir sur Wikipédia que les habitants sont nommés les « Ponots ». C’est trop mignon). Je n’ai jamais vu quelqu’un exprimer autant d’amour pour son légumineux natal. Il y a même un brin de lentille sur sa porte.
Si vous allez dans ce restaurant, vous y trouverez des livres parsemés, par-ci, par-là. Tous plus ou moins sur les mêmes sujets, la lentille, l’Auvergne et le Puy. Je n’aime pas beaucoup manger seule mais ici, j’y serai tentée. Se plonger dans la lecture des bâtisses religieuses de Puy-en-Velay, le plus important point de départ vers Saint-Jacques-de-Compostelle, en se demandant si ces vieilles pierres n’auraient pas un lien de parenté avec ces fromages à la croûte épaisse et jaunie par le temps. Tout en savourant la finesse alliée à la technicité venues d’un terroir authentique riche en saveurs. Quel autre moment de bonheur pourrait-on imaginer ? À ce prix et à Paris, c’est juste parfait.
P. S. Non seulement on y sert le déjeuner et le diner mais en plus il y a un goûter. Parfait, vous dis-je.
Anicia, bistrot nature par François Gagnaire
97 rue du Cherche-Midi
75006 Paris
Tél: 01 43 35 41 50
Formules 29€ et 35€. Menu 5 services 55€. À la carte 45€ environ.
Goûter servi après le service du déjeuner jusqu’à une heure avant le diner.
Fermé dimanche et lundi.