Bozar Brasserie – grandiose

Bozar Brasserie – l’originalité dans la tradition, la créativité dans le classicisme.

Parfois il suffit de penser tout haut pour qu’un souhait se réalise. « Je n’ai pas très envie de viande en ce moment » avais-je dit il y a quelques jours. Ce n’était qu’une boutade, un moment d’égarement, une fatigue passagère, aussitôt oubliée.

Hier, quand je suis arrivée à Bozar Brasserie, Karen me dit : « Ce soir je t’ai préparé des petites choses ». Je me méfie des « petites choses » de Karen. Sa générosité est telle que … tout est grand. Ayant sauté le petit-déjeuner et le déjeuner, j’avais commis l’erreur d’avaler un cornet entier de frites dégoulinant de sauce samouraï sur la Grand-Place de Bruxelles.

« Je suis désolée Karen… je ne digère pas les frites… je voudrais juste une salade…»
« Mais ce sont des toutes petites choses ! Quand tu n’en voudras plus, tu diras stop ! Même pas de viande, sauf si tu en veux ! »

Ah tiens? Pas de viande?

Voici donc mon tout petit dîner sans viande. Oh, il y a bien eu le fromage de tête mais c’est tellement fin que ça ne compte pas. Il y avait aussi des petits bouts de cœur de canard mais c’est tellement petit, ça ne compte pas non plus.

La grande cuisine de Karen Torosyan.

Karen Torosyan. On parle tellement de ses croûtes qu’on en oublie sa cuisine. Elle est belle, aussi précise que ses croûtes, et surprenante de délicatesse. Ce mot, galvaudé dans la gastronomie sans qu’on ne sache vraiment à quoi cela correspond, me semble parlant ici. Délicatesse. Parce que ce qui m’étonne à chaque fois, au-delà de la perfection des cuissons, de la minutie des préparations, c’est la finesse en bouche de cette cuisine. Délicat, dans le sens de ce qui est raffiné, aérien, éphémère. Non pas l’éphémère kitsch comme la boule has-been qui fait pscht et ne laisse qu’une triste impression de fête ratée. … mais l’éphémère comme une caractéristique infiniment précieuse, une étoile filante dont on conserve longtemps le souvenir dans la mémoire, face à une assiette brutalement vide.

Une magnifique délicatesse.

Ce sont par exemple des sauces à la texture plus liquide que les sauces d’Antan mais avec la même concentration de goûts ; des quenelles, bien dorées, qui fondent comme écume en bouche ; des asperges, dont la cuisson parfaite al dente leur laisse toute la fraicheur du nouveau printemps tout en soulignant la douceur naturelle du légume ; une pièce de bœuf à la cuisson parfaite, douce sur la langue comme une caresse sur la peau, toute en tendreté sans un soupçon de faiblesse.

Cette délicatesse de saveurs ne se voit pas à l’œil car il y a dans cette cuisine, une volonté consciente de fidélité aux grands classiques. « Qui suis-je pour revisiter des plats que d’autres font depuis 30 ans ? J’ai envie de laisser ma patte oui, mais sans détruire, sans dénigrer tout le travail des grands chefs qui l’ont fait avant moi. »

Curieusement, je n’avais pas imaginé que Karen puisse faire autre chose que des croûtes et des viandes…

Je connaissais déjà sa précision maniaque et sa justesse technique. Cette fois, j’ai découvert l’étendue de sa créativité. Un artisan? Oui, et excellent avec ça! Un artiste? Hors pair. N’est-ce pas terrifiant qu’un seul homme puisse réunir autant de qualités?

Trêve de mots. Cette cuisine est magnifique, voilà tout.

« Tartine » de fromage blanc de Beersel et radis. Ultra frais et un joli croquant.

 

Tartelette de tartare de bœuf au couteau, vinaigrette « à l’américaine », graines de moutarde de Dijon. Une bonne mâche de viande rouge crue, avec la fraicheur et l’acidité de la moutarde. Très très bon.

 

Choux à la crème de parmesan. J’adore les choux, ici…

 

Fromage de tête, condiment pomme et miso, chou-rave rôti, crème à la moutarde, jus de citron et piment d’Espelette.

Étonnant fromage de tête, car à la fois raffiné (donc au goût du jour) et classique (on y retrouve le vrai goût de cette charcuterie populaire). Le chou rave est taillé en fine lanières à la mandoline japonaise et roulé.

 

Superbe accord avec ce vin italien, d’habitude rouge mais ici, vinifié en blanc. Fraicheur, équilibre, profondeur d’arômes, tout y était. Exquis.

 

Asperges vertes, morilles, comté, dés de cecina, sabayon de vin jaune, crumble de peau de pomme de terre. La cuisson des asperges est d’une précision …. sublime.

 

Rouget laqué aux citron confit et piment d’Espelette, petits pois, courgette violon, fleur de courgette farcie, « jus de bouillabaisse ». On en boirait des seaux. Un nectar beaucoup plus fin et noble qu’une bouillabaisse, en textures et en saveurs.

 

Un autre vin blanc, cette fois pour répondre à l’épice du plat complexe qui arrive …

 

Queue et pince de homard, cœur de canard, coco de Paimpol. Un mariage inédit entre le homard et l’abat du canard où l’on retrouve la même idée d’une chair ferme et juteuse. Un plat puissant, qui se mâche, qui se déguste, qui se roule dans la bouche, avec la tomate réduite jusqu’à son sucre et des épices douces.

 

Quenelle de sandre à la lyonnaise, écrevisses, sauce Nantua. Oubliez les quenelles farineuses, dures, élastiques, insipides. Goûtez celle-ci. Vous m’en direz des nouvelles.

 

Anguille au vert, condiment de citron.

C’est VERT. Épinard, persil plat, oseille, ortie, estragon, sauge, menthe, sarriette, marjolaine, cerfeuil, basilic, basilic thaï, coriandre et citronnelle. Le vin s’accorde à merveille à cette profusion de parfums verts, et les saveurs toutes vertes sont surprenantes de sapidité.

L’anguille est ferme, comme il faut. Elle rappelle la texture de la lotte ou le turbot sur l’arête.

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Comme avait dit le chef, c’était presque sans viande, un tout petit menu… grandiose.

Ce sera un thé, un café.

Mais un jour il faudrait quand même que j’arrive à caser un dessert.

Bozar Brasserie
Rue Baron Horta 3
1000 Bruxelles
Tél: 02 / 503 00 00