Jin une cuisine généreuse en saveurs

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Les sushi de Jin sont tout petits. En plus ils sont un peu noirs…très loin de ma “philosophie” du sushi blanc immaculé qui fait une bouchée ni trop grosse, ni trop petite.
Jin est néanmoins une cuisine généreuse. Pas tant par les quantités – bien qu’on n’ait pas faim en sortant – que par les saveurs, très riches. Riches? Mais non, pas de crème, ni beurre, ni même de l’armagnac. Tout ici est katsuo-bushi, kombu et autres japonaises. Il ne faut pas croire que ce qui n’est pas gras n’est pas riche. Ça peut l’être mais en umami.

La cuisine reflète bien le chef, Takuya Watanabé, qui ferait vaguement penser à un cousin éloigné d’un sumo. Il est large, épais, solide. Crâne rasé, nickel. Mais pas menaçant du tout. On le devine tout gentil…et très sensible.

Voici le menu dégustation d’aujourd’hui midi, 30 janvier 2014.

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Crabe en “tomo-aé”, oursin.

Pour une entrée en matière, c’est très TRÈS bon. Une toute petite bouchée très concentrée en goûts….

“Aé” se dit d’une préparation où la sauce ou vinaigrette est mêlée, c’est à dire bien mélangée, avec un produit généralement émincé (Point pub: voir mon livre “La cuisine du Japon” qui vient de sortir, éditiions Gründ).
“Tomo” signifie le semblable. Dans ce cas précis, il s’agit de la chair de crabe mélangée à la matière crémeuse du crabe. Qu’on n’aime pas beaucoup en France mais qui est très prisée au Japon.

Le crabe français est très très plein d’umami, moins sucré mais plus umaï je pense que le ou les crabes japonais. L’oursin est doux et iodé. Taku, le chef, dit que les oursins en France sont très bons mais contiennent trop d’eau, c’est fatigant pour le client. Alors il les laisse égoutter, avec un peu de sel. Un principe très simple qui est très utlisé dans la cuisine japonaise – sel et passoire fine ou en bambou – que l’on n’exploite pas, ou qu’on n’a pas du tout maitrisé, dans la cuisine occidentale.

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Merlu, sel et wasabi

Est-ce la première fois que je mange du merlu pas cuit? Probablement pas, mais cela ne m’avait pas laissé une impression indélébile…Celui-ci a été légèrement raffermi ou déshydraté (ce qui revient un peu au même…). Ce poisson est tellement peu poissoneux qu’il vient parfaitement rafraichir le palais après l’iode et l’umami du crabe.

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Bonite grillée-fumée au feu de paille

Là on change radicalement de registre. La bonite en France est tellement différente de la bonite au Japon, que cela doit être un challenge pour le cuisinier japonais. En tout cas, il ne peut espérer en obtenir les mêmes saveurs très prononcées auxquelles nous sommes habitués. Selon l’habitude japonaise, la bonite est “passée sur le feu” (la surface du produit est saisi directement à la flamme, sans cuire la chair) juste pour lui donner du fumet. Sauf qu’ici, on le voit à l’oeil, la bonite n’a pas du tout le goût du sang comme le thon, comme la bonite japonaise. Ni de gras.

Un petit accent vert, un peu poireau, un peu ciboule, pour un tout petit piquant frais.

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Isobé-yaki de Saint-Jacques

L’isobé-yaki est un produit grillé sur le feu mais cuit cette fois, avec un peu de sauce soja, puis mis en “sandwich” dans une feuille de nori. Voici done la Saint-Jacques en isobé-yaki. Elle est cuite à point: le coeur est presque cru mais pas tout à fait.

L’isobé-yaki n’est pas possible sans un très bon nori, parfumé, qui n’a pas la moindre trace d’humidité, et qui néanmoins a été “asséché” en par un passage rapide sur le gril juste avant d’être servi. Cela lui redonne le parfum d’iso (embrun, en français, sauf que ça fait un peu bizarre) qu’il a forcément perdu dans le paquet. C’est pour cette même raison que l’isobé-yaki est toujours donné de main à main et non posé dans une assiette: non ce n’est pas de l’économie de vaisselle, c’est pour que le nori ne s’humidifie pas au contact de l’assiette.

Un goût populaire que l’on ne servira jamais dans un kaIseki, et c’est bien dommage car on est à fond dans l’umami: celui de la Saint-Jacques et celui du nori. Avec celui de la sauce soja cuite en sus.

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Saka-mushi de turbot, oursin

Le saka-mushi, comme son nom l’indique, est une cuisson à la vapeur de saké (saka=saké + mushi=cuit à la vapeur). Le turbot a été cuit dans du saké, très rapidement encore et toujours, à la fois pour le cuire bien entendu mais aussi pour lui donner le goût du liquide. L’oursin apporte une touche grasse et iodée, qui pourrait manquer au poisson tout seul. J’ai bu le liquide au fond de l’assiette (en prenant l’assiette dans les deux mains, ben oui, c’est permis au Japon si les doigts de la main sont bien fermés et non écartés…). C’est excellent, encore plus que le plat. Je ne pense pas que ce soit uniquement le poisson et du saké. Il doit y avoir un peu de dashi de kombu ou quelque chose car c’est très très goûteux.

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Rogue de daurade, gombos

Au Japon, on aime les oeufs de poisson. Oeufs de saumon, de cabillaud, de hareng, de tout. Nous sommes contents comme tout quand il y a des oeufs dans la sardine que nous faisons griller. Incompréhensible, n’est-ce pas? Ici, de rares oeufs de daurade, cuits dans un léger dashi. Ça croque, ça craque et ça se faufile entre les dents. Et on en laisse plein dans le fond de l’assiette. Même si mon voisin de comptoir (français) les a ramassés avec ses doigts, ce qui, bien évidemment, ne se fait pas du tout mais que l’on a très envie de faire.

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Homard, komatsuna

Le homard est servi dans une sorte de san-baï-zu (=vinaigre en trois parts ou trois volumes, voir aussi le livre La cuisine du Japon mais je crois que j’ai donné une recette sur ce blog aussi). Le bol, par sa forme, n’incite pas à boire le liquide mais je l’ai fait quand même. C’est très bon, très frais et prépare le palais pour la suite, LES SUSHI! Il faut, même si l’opération est délicate, vu la forme du récipient, il y a de fortes chances que cela tombe à côté, en dessous, en dessus, partout sauf dans la bouche.

Avec ma compagne de comptoir, nous avons cru d’abord que c’étaient des épinards, si ce n’était pour la texture croquante, “tige”, du komatsuna, tant son parfum est peu prononcé.

NIGIRI ! NIGIRI !

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Hiramé (turbot)

Ici, ce n’est pas de la barbue, plus tendre que le turbot et plus proche du hiramé japonais en texture sinon en goût, mais un turbot de 1 kg environ. C’est drôle comme les poissons blancs en France sont grossiers quand ils sont gros, et le chef a bien raison de ne prendre que les petits. Car attention, on ne les cuit pas…Et à mon avis, ce turbot est non seulement petit, il a été mis “au repos” pendant deux jours à mon avis, pour l’attendrir. À vérifier toutefois, je peux avoir tout faux.

Le shari ou riz du sushi (le sushi a un vocabulaire bien à lui, dont les origines sont obscures) est une surprise. Rien à voir avec la blancheur immaculé d’un shari de Mizutani, il est rougeâtre, presque brun, noirci. Il a l’air un peu plus collant aussi, ce qui ne vient pas du vinaigre mais du riz en lui-même. C’est du Minori, un riz japonica cultivé en Espagne.

Pour l’assaisonnement, Taku utilise trois vinaigres : un vinaigre rouge de Chiba parfumé au shiso, un vinaigre rouge Kohaku, qui est plus doux. Et un vinaigre de riz blanc. Que du sel, pas de sucre. Curieux…

C’est un type de sushi que je ne connais pas du tout. Le riz n’a pratiquement pas de sucrosité. Il est salé mais pas au point où on sent le sel. Et très très peu d’acidité aussi. Nous sommes loin du riz blanc, doux, sucré, salé et acide d’un Mizutani à Tokyo, voire d’un Karasuyama à Paris. C’est une “philosophie” tout à fait différente, et même si ce n’est pas la mienne, je dis: pourquoi pas?

Quand je l’interroge, le chef me dit que toute sa cuisine est faite pour le mariage avec le saké. Ah oui! Ce sont bien des sushi pour “non-béé”, c’est à dire celui qui aime boire. Car le saké est sucré, parfumé, plus difficile à marier avec l’acidité. Et par contre se marie très bien avec le sel, le poisson, l’umami notamment du katsuo-bushi. Qui est très prononcé ici. Mais où est-il? Ah mais bien sûr, dans le nikiri.

Taku dit que cela ferait probablement sursauter les autres sushiya mais il flambe un peu le vinaigre rouge de Chiba pour lui enlever l’acidité…Vinaigre pas acide? Riz sans sucre? Nikiri au katsuo-bushi? Quelle vulgarité, aurais-je dit, mais pas tant que ça finalement. Pourquoi pas?

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Surume-ika, seiche ou encornet?

Super épais l’animal. De la mâche dans laquelle les dents s’enfoncent. Et absolument pas caoutchouteux.

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Botan-ebi ou crevette pivoine, crue.

C’est un peu une spécialité de Hokkaido où le chef a plusieurs restaurants, de sushi et de cuisine japonaise. À Tokyo, dans les bonnes maisons, on ne sert pas la crevette crue car la crevette est plus sucrée lorsqu’elle est cuite. Et le kuruma-ebi ou “crevette roue” (Marsupenaeus japonicus) n’est pas bonne crue. Ce qu’on sert souvent cru, ce sont les crevettes ama-ebi, littéralement “crevette sucrée” qui sont importées congelées de Norvège (c’est pour cela qu’on ne les sert pas dans les bonnes maisons…). Mais à Hokkaido, il y a des botan-ebi ou crevette pivoine que l’on sert traditionnellement crue. Je ne sais pas sous quelle appellation c’est vendu en France. Je lui demanderai la prochaine fois.

C’est un peu collant, comme le calamar, avec une sucrosité très fine. Beaucoup moins sucré qu’au Japon. C’est agréable mais pour moi, le vrai amateur de poisson ne tue pas pour.

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Daurade

Très grasse, elle devait être bien dodue. Excellent poisson en cette saison. Je pense que c’est meilleur en sushi que cuit, et bien évidemment meilleur en sushi qu’en sashimi. En sashimi, la graisse frise la vulgarité. Alors qu’en sushi, le riz équilibre la graisse assez présente et donne un résultat bien plus raffiné.

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Carrelet en kobu-jimé

Le chef Kei Kobayashi, du restaurant “Kei” (Paris 01) me disait hier que “le carrelet, c’est vraiment très bon”. Un poisson qu’il aimerait utiliser qui n’est pas du tout valorisé dans la cuisine française.

C’est vrai. C’est un très bon poisson, qui a beaucoup de goût, surtout pour un poisson blanc et plat. Ici, il est servi en kobu-jimé c’est à dire enveloppé dans du kombu pour le raffermir, le déshydrater un peu et lui donner du goût. Superbe technique 3-en-1.

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Saint-Jacques

Chef Taku dit: “Je croyais que les Saint-Jacques chez moi (Hokkaido) étaient bonnes mais quand j’ai goûté celles en France…Ah!! Y’a pas photo. Elles sont vraiment bonnes ici.”

Le sushi en tout cas est fabuleux.

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Moules

Alors là, je suis moins convaincue. Des petites moules empilées sur un nigiri. Le chef a du mal à les faire tenir…et je trouve que ça ne va pas en sushi. Ce n’est certes pas mauvais mais…je les préfère “à la française.”

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Maquereau

EXCELLENT maquereau. Gras à point. Sel parfait.

C’est difficile le calcul du salage…pas tant la quantité que le temps de repos. Ici, il a dû être court. On ne sent pas le vinaigre dans lequel le poisson a mariné après. Je me demande même si vinaigre il y a eu…forcément, ne serait-ce que pour laver le sel…Hmmm. C’est une cuisine subtile…superbement réussi.

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Saumon

Décidément, le saumon en sushi…il est très bon celui-là, rien à voir avec le sushi de coin. La graisse est bonne, fine, pas lourde ni pâteuse et n’a pas l’odeur désagréable qu’elle peut avoir. C’est juste que l’excès de graisse…pourtant j’adore le toro, le thon gras. Je crois que c’est à Hokkaido qu’on mange traditionnellement le saumon aussi bien cru que cuit, alors que dans le reste du Japon, on le cuit toujours car c’est un poisson anadrome (eau douce, eau de mer). Ma compagne de comptoir, Japonaise, aime. Elle trouve le saumon meilleur que le maqureau.

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Thon en zuké

Quand on parle du thon…le thon d’Espagne me dit-on, que le chef coupe en tranches, puis laisse tremper le temps de quelques nigiri, dans le mélange de sauce soja pour zuké. C’est bon, très très loin du thon d’Oma ou même d’un très bon thon de Méditérranée: on joue dans un registre différent encore mais si je m’ouvre un peu l’esprit…c’est très bon. Le côté “fer” du thon est là, discret. La sauce soja (pas que, mais je ne sais pas ce qu’il y a d’autre dans le mélange) lui donne de l’umami. La tranche est fine et la chair, fondante.

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Gunkan-maki d’oursin

Décidément, le nori ici est top…Superbe parfum de nori. Un très beau croquant. Mariage parfait avec l’iode de l’oursin et l’umami du nikiri. Ce n’est pas ce que l’on trouvera dans un kaïseki ultra-raffiné de Kyoto…mais c’est le bon goût du Japon de l’Est.

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Huître

Intéressant d’utiliser l’huïtre pour le produit sucré de la fin (je ne parle pas du dessert mais du poisson ou coquillage, souvent un poulpe ou une anguille, servi à la fin avec une sauce carrément sucrée un peu sirupeuse). Elle a été cuite je ne sais pas trop comment, mais cela lui donne un goût complexe: fumé, iodé, salé, sucré… Avec le côté caramel de la sauce…Je ne suis pas sure d’être fan mais en tout cas, c’est très intrigant.

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Tamago ou oeuf

Alors là…c’est très bon, c’est très bien…moelleux, tendre, souple, mixé avec plein de petites crevettes pour donner du goût.

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Pour finir, une soupe miso faite avec du bouillon de poisson – pas n’importe lesquels mais dans un sushiya ce ne sont pas les têtes et les arêtes qui manquent – et du wakamé. Très “famille” et réconfortante, avec plus de matières grasses et de saveurs épaisses qu’une soupe miso au dashi.

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Et le dessert, une crème de sésame avec du kaki. Parfumé au yuzu. Frais et léger.

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La prochaine fois je viens avec quelqu’un qui tient bien l’alcool car c’est une cuisine qui donne vraiment envie de saké. Surtout quand on voit ll’impressionante carte de saké, et aucun vin. Que c’est rafraichissant…après tous les restaurants japonais au Japon qui ont plus de vins que de saké…On regrette amèrement de ne pas être venu avec un pochetron rien que pour essayer différents saké qu’on ne trouve pas ailleurs.

Pour conclure: je reviendrai et dans pas longtemps !

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Menu déjeuner de sushi 65€
Menu déjeuner “omakasé” 95€
Menu dégustation “omakasé” 135€ servi midi et soir

* La différence entre le menu déjeuner omakasé à 95€ et celui de 135€, c’est le nombre de tsumami (les petits plats qu’on appellerait “entrée” en français faute de mieux). 3 à 4 pour le menu à 95€, 7 à 8 pour le menu à 135€. La collection de sushi qui vient après les entrées est la même, quel que soit le menu.

JIN
6 rue de la sourdière 75008 Paris
Tél: 01 42 61 60 71