Hinoki au Saké Bar

C’est bien que vous soyez venu … from tibo dhermy on Vimeo.

Je n’ai jamais osé parler de Hinoki. C’était beaucoup trop compliqué car je suis Japonaise et le sushi est une cuisine que j’aime par-dessus tout.

Je ne me souviens plus quand j’ai mangé mon premier sushi. Mon premier souvenir remonte à Tsuruhachi, un petit sushiya situé dans une sombre allée à Jinbocho, Tokyo. Le maître était un vrai sushiya d’Edo, grande gueule, tête carrée tondue ras. Il me regardait d’un sale œil, moi à 7 ans, assise à son comptoir, la tête dans un livre. « Encore la gamine ! disait-il, les mains sur les hanches, le ventre en avant, elle est trop jeune pour manger des sushi et boire du saké ! ». Mais il adorait ma mère et lorsque j’ai grandi un peu, il ne le disait plus que pour la forme et pour me faire rire, et me réservait les parties les plus tendres et douces car je mangeais encore sans wasabi (je ne buvais pas de saké, mais j’avais quand même mon ochoko, la petite tasse à saké, avec quelques gouttes, juste pour humer et goûter).

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Huitres sauvages bretonnes, pêchées par Xavier lui-même. À déguster sans rien.

Son hobby était les westerns. Il passait tous ses dimanches à les regarder. Son rêve : aller à Hollywood pour voir les scènes de tournages.

Ses sushi n’étaient pas élégants comme ceux de Mizutani. À croire que les sushi reflètent la physionomie de son maître. Autant Mizutani, qui est fin, aux gestes élégants, fait des nigiri fins et élégants, autant Tsuruhashi, petit et trapu, faisait des nigiri confortables, avec ses doigts un peu boudinés.

Son maki de thon était une merveille. Il y mettait les chutes des 3 thons : akami, chu-toro, toro. Son maki de concombre, un petit concombre fin, roulé entier, était incroyablement parfumé, frais et croquait comme un bout de chocolat. Le nori évoquait la mer…Un vrai sushi d’Edo.

Je n’ai connu son nom que beaucoup plus tard. Il s’appelait Yukio Morooka. Son sushiya étant dans le quartier des maisons d’éditions, ses clients éditeurs l’ont encouragé à écrire des livres, dont un qui a été adapté pour une série TV en 1987.

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Aucune eau, une chair ferme mais grasse sans lourdeur, l’iode qui vient un peu plus tard, très frais. Une huitre incroyable, sublime.

J’ai compris beaucoup plus tard que depuis toute petite, j’ai connu les meilleurs sushiya du monde, que j’ai continué à fréquenter, en changeant bien sûr avec le temps. Parce que malheureusement, les vrais maîtres ne sont pas tout jeunes. Alors ils nous quittent dès que nous avons connu leurs meilleurs moments. Ainsi, au fil du temps, le sushi est devenu pour moi une affaire personnelle.

D’où aussi ma grande affection pour Hachiro Mizutani, que nous appelons chez nous « Monsieur Sushi », du nom que lui a donné ma fille quand elle n’avait pas tout à fait 4 ans. Encore une gamine…dont le premier sushi était un thon rouge de Mizutani. Ah ! Sa vie est foutue…

Pour toutes ces raisons, je n’ai jamais parlé de Hinoki.

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“Salade” de roquette bio, wakamé breton et barbes de saint-jacques.

Mais je suis tombée sur cette vidéo de Tibo Dhermy qui m’a donné envie de parler de cette soirée au Saké-bar.

Hinoki, c’est le nom du restaurant de Xavier Pensec et son épouse Mika, situé à Brest. Xavier est Breton. Mika est Japonaise. Saké-bar, c’est ex-Youlin, un lieu discret plein de charme qu’il me reste toujours à découvrir, car je n’y suis allée que pour cette soirée Hinoki. D’habitude, ils servent une cuisine japonaise (le chef est un jeune Japonais tout frais arrivé à Paris, qui a une formation de kaiseki et qui je soupçonne doit être très bon) avec des mariages mets – sakés. C’est insolite et très cool comme concept, tout à fait dans l’air du temps.

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Encornet de ligne. Taille 37 cm. Avec juste quelques grains de sel. Il manque un peu d’umami, de fondant, peut-être aurait-il pu reposer un peu plus (les coquillages sont les seules produits du sushi qui ne reposent pas, qui sont vivants). Mais il reste néanmoins très bon pour sa fraicheur en parfum et en bouche.

Il y a quelques années, j’ai rencontré Xavier Pensec sur Facebook. Il avait lu mon livre “Poissons Un art du Japon” et me demandait où il pouvait acheter le riz de Mizutani. Je lui ai répondu qu’on ne peut pas l’acheter “comme ça” puisque c’est un assemblage de plusieurs riz selon les cépages, les degrés de maturation et la saison. Assemblage qui est fait par le fournisseur de riz, qui sait exactement ce que veut Mizutani. Monsieur Sushi ne sait pas lui-même quels riz il utilise puisque l’assemblage change tout le temps et est entièrement entre les mains du marchand de riz. Une confiance mutuelle qui s’est construite à travers plusieurs décennies.

Ensuite Xavier veut savoir quel est le meilleur riz, entre les différents riz importés par tel ou tel distributeur de produits japonais en France. Je n’en sais fichtre rien, moi je ne fais que manger le riz, je suis totalement ignare quant aux distributeurs et importateurs. C’est ce que je lui ai dit.

Puis il me demande, peut-il acheter le gingembre de Mizutani? Bien sûr que non, voyons. Ce n’est pas en vente au supermarché du coin! Bref, il m’a un peu saoûlé avec ses questions de “passionné” mais en tout cas, j’ai bien reconnu l’obsédé du sushi. J’en connais quelques-uns. Je ne sais pas pourquoi ils sont comme ça. Ça doit être une nouvelle pathologie obscure…et incurable.

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Truite fario avec ses œufs en “assaisonnement”. Une véritable découverte.

Ce que Xavier ne m’avait pas dit, c’est qu’il était sushiya à Brest. Français, qui n’a jamais eu de lien à proprement parler, ni avec la restauration ni avec le Japon (du moins jusqu’à sa rencontre avec Mika). Pas de parents restaurateurs. Pas d’école d’hôtellerie. Juste du surf. De surfer breton, il s’est métamorphosé en sushiya.

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Saumon sauvage du Pacifique, avec du nikiri (cf plus bas). Une jolie graisse légère, sans cette lourdeur caractéristique du saumon d’élevage.

Or ce n’est pas si facile que ça. On ne peut pas se réveiller un beau matin et se “convertir” sushiya. Il faut normalement des années de formation (dix ans) auprès d’un maître. Cela ne s’apprend ni à l’école ni dans les livres. Comme toute cuisine “gastronomique” qui demande une grande technicité. Et ce n’est que le premier pas. Il faut ensuite acquérir l’instinct, le geste qui devient une partie intégrante de soi, comme respirer…toutes ces choses qui ne viennent qu’avec le temps et l’expérience.

Le sushi est avant tout manuel. C’est comme un pianiste de musique classique. Il faut être doué, apprendre les bases, puis répéter, répéter, répéter…toute sa vie. Ce n’est pas “créatif”. C’est plus encore.

Difficile pour quelqu’un élevé dans une culture qui privilégie avant tout la créativité et l’originalité. D’autant que nous, les Japonais, nous sommes profondément chauvins. Nous sommes persuadés qu’il faut être Japonais pour comprendre la cuisine japonaise. Quant à la faire…pff! Totalement impossible pour un étranger. On ne prend jamais d’étranger comme apprenti, même si maintenant dans quelques rares grands restaurants kaïseki, on accepte les étrangers en formation mais cela reste épisodique. Et personne ne croit que l’étranger en question deviendra un vrai cuisinier.

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Daurade royale de ligne, en ikéjimé (cf plus bas). Une graisse d’hiver d’un poisson de qualité, à la fois fraiche et voluptueuse, sans aucun arrière goût. Fondante. Très très bonne.

C’est encore pire pour le sushi. Car dans un sushiya tout est visible. On ne peut pas cacher un apprenti blond aux yeux bleus au fond de la cuisine. Et un blond aux yeux bleus, poilu de surcroit derrière le comptoir si pur … ferait fuir les clients (c’est pareil pour les femmes, il n’y a pas de femmes derrière le comptoir du sushiya, quelle horreur!).

Contrairement aux cuisiniers japonais de cuisine française qui sont dans toutes les cuisines de France et qui ont la chance d’apprendre en « local », le sushi est un monde fermé, hermétique. Il ne suffit même pas d’être Asiatique. Il faut être Japonais.

Alors Xavier est à la fois un grand naïf, un inconscient qui s’est fixé un objectif plus lointain que la lune: devenir un vrai sushiya, dans la pure tradition du sushi japonais (pas de California roll), mais avec les produits de son terroir. La mer bretonne.

Sans pour autant avoir l’opportunité de faire un apprentissage auprès d’un maitre sushi.

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Daurade, la même mais cette fois la ventrèche avec du yuzu. Très très belle chair, avec des fibres de graisse qui fondent sur la langue. Je ne suis pas fan des ajouts comme le yuzu et le shiso car j’ai tendance à penser que le sushi “pur” suffit s’il est bon, mais c’est vraiment une question de goût personnel.

Xavier n’a personne pour lui dire ce qu’il fait bien ou mal (sauf Mika, mais tout le monde sait que dans un couple, ça se termine toujours en engueulade…). Il est comme un orphelin qui s’élève tout seul, tant bien que mal. L’autodidacte le plus isolé que j’ai connu en cuisine. Ne dit-on pas que « Breton, tête de … » ?

J’ai mangé peut-être 8 fois chez Hinoki. Deux ou trois fois en janvier 2011. Deux ou trois fois, en avril de la même année. Mais Brest, c’est loin… Cela faisait un moment que je voulais y retourner. Parce que j’aime ce couple charmant et obstiné, avec son ambition qui frise la folie. Qui a eu la géniale idée de venir à Paris. Pour deux jours au Saké-bar.

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Barbue en kobujimé (cf plus bas) avec shiso. À déguster sans rien, le kobujimé suffit.

En janvier 2011, les sushi de Xavier étaient encore très loin. Ils ressemblaient à des copies maladroites. Rien n’allait. Ou plutôt, tout était à apprendre. En avril, la progression était fulgurante. Cela commençait à prendre forme. Le riz était bon et les produits, mieux compris. L’organisation du restaurant était terrible. Non seulement il a des problèmes de personnel comme tous les restaurants en France, mais en plus, ni Xavier ni Mika n’ont été formé dans la restauration. Pour faire tourner un restaurant, qu’il offre 10 ou 50 couverts, il ne suffit pas de bien cuisiner. Un restaurant, c’est avant tout une organisation sans faille, d’une rigueur quasi-militaire. Et chez Hinoki, il y a un problème de plus : trop de clients. C’est inévitable, nous sommes ici en France: c’est économiquement impossible de faire payer 250€ pour des sushi, comme c’est le cas des sushiya haut de gamme au Japon. Alors Xavier est obligé de prendre une vingtaine de couverts, alors qu’il sait que même un sushiya expérimenté ne peut servir plus de 10 personnes au comptoir à la fois et aucune table (de toute façon un sushiya haut de gamme ne sert jamais à table, seulement au comptoir).

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Tofu  assaisonné légèrement puis frit du chef du Saké-bar. Une friture succulente, légère.

Manger les sushis de Xavier, c’est souffrir avec lui. C’est vivre sa passion pendant qu’on le regarde, concentré, passionné, à œuvrer derrière son comptoir. L’attention qu’il porte à chaque pièce, cette espèce d’angoisse joyeuse qu’on ressent à travers chaque mouvement de son corps, est tout à fait ce que l’on ressent quand on voit son enfant faire ses premiers pas. Ce n’est pas dénigrant. C’est que l’effort pour chaque pas est énorme. Mais aussi une joie. C’est en cela que les sushis de Xavier sont absolument délicieux.

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Maquereau de ligne saigné. Produit magnifique et superbement bien traité après la pêche, d’où sa grande fraicheur et son croquant. Découpe par contre un peu bizarre.

Et après le repas, Mika vient avec son petit carnet et me demande de lui lister tous les défauts des sushis de Xavier, avec un regard tellement sévère qu’elle me ferait presque peur. Oh, lâche-le un peu! lui dis-je. Mais elle est comme ça. Perfectionniste, exigeante. Chacun sa folie.

Xavier Pensec est un angoissé névrosé obsédé du riz. Il a raison car le riz, c’est la vie du sushi. On pense souvent que c’est la fraicheur du poisson. C’est faux. La fraicheur du poisson est un minimum chez un sushiya. Pas un gage de qualité du sushi. Le riz de Xavier est parfois excellent, parfois un peu “off”. Il maitrise la cuisson. Mais manque d’assurance sur l’assaisonnement qui est irrégulier.

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Le même maquereau mais la ventrèche cette fois. Le produit est magnifique, la ventrèche, plus grasse, vient compléter le nigiri d’avant. La découpe toujours un peu bizarre…

Une quantité suffisante de sel est primordiale dans l’assaisonnement du riz. Nous vivons dans une époque anti-sel, c’est vrai. Mais le poisson cru a besoin de sel, pour raffermir son goût et lui donner du mordant. La quantité de sel qu’on met dans le vinaigre de sushi fait peur. Mais il est nécessaire. D’autant que le riz qu’on trouve en France n’est jamais aussi doux que celui des sushiya japonais haut de gamme. Il faut à tout prix préserver la douceur du goût du riz. Le sel fait aussi ressortir la douceur du riz, celle qui donne au sushi son goût complexe et riche. Ne pas oublier non plus le sucre, bien sûr.

Et bien entendu, la température du riz, à hitohada, c’est à dire la température humaine. Un léger contraste avec la température du poisson, qui doit être un peu plus frais mais pas froid comme s’il sortait du frigo! Cela veut dire qu’idéalement, le riz pour la soirée n’est pas cuit en une seule fois mais plusieurs. En calculant bien le temps de cuisson, d’assaisonnement et de refroidissement pour qu’il n’y ait pas de trous, que les clients n’attendent pas la deuxième “fournée”…

Xavier obsède aussi sur les poissons. Il fait facilement deux heures de route pour aller chercher une bonite. S’est lié avec des pêcheurs bretons pour qu’ils apprennent l’ikéjimé. Ses produits sont les meilleurs qui soient: aucun sushiya en France à ma connaissance, n’offre cette qualité du produit. Les produits ne sont pas ceux servis dans un sushiya japonais, c’est vrai. Mais ce sont les produits du terroir breton. L’excellence. Magnifiques. Incomparables.

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Saint-jacques comme on n’en trouve pas à Paris, même dans les meilleurs restaurants étoilés. D’abord par sa fraicheur  car les coquillages sont les seuls produits du sushi qui ne reposent pas (déjà dit). Beaucoup de goût, de fondant, de sucre naturel.

Les découpes peuvent parfois être maladroites, comme pour ce maquereau “rectangulaire”. Les tranches de poisson sont parfois parfaitement uniformes, parfois irrégulières. Que ce soit dans un filet de thon rouge, un petit filet de sardine, le sushiya doit s’adapter à chaque découpe. C’est un automatisme qui ne vient qu’avec le temps et énormément d’entrainement. Car chaque poisson est différent: cela demande des décennies aux sushiyas avant que le couteau “devienne une partie de la main qu’on ne regarde plus” (Mizutani). La découpe doit être légère, précise. L’épaisseur, différente pour chaque poisson, un savant calcul instinctif, selon l’espèce, sa taille, sa graisse, qui se dose avec le couteau et non le cerveau. La tranche doit être parfaitement homogène.

Un jour, le commis le plus ancien de Mizutani, qui ne fait que couper des poissons tous les jours sauf le dimanche, depuis plusieurs années m’avait fait un nigiri de chinchard (sur ma demande, car il n’est autorisé à faire des sushis que si le client, un habitué qui l’aime bien et veut l’encourager, le demande. Alors il remercie et son corps se raidit: il a le trac). Dès l’instant où je l’ai mis dans la bouche, j’ai senti que ça n’allait pas. Et il le savait avant moi. Il m’a dit “Madame Masui, je peux vous le refaire? Le chinchard était asymétrique, vous l’avez tout de suite senti…”. Oui. La tranche était plus épaisse d’un côté que de l’autre, de quelques fractions de millimètres que l’œil ne voit pas, mais que la bouche perçoit sans toujours arriver à définir ce qui ne va pas. Le commis l’a refait, et cette fois, la tranche était trop grande par rapport à la quantité de riz. Il n’était pas content de lui… C’est là que je me suis rendue compte à quel point c’était difficile, à quel point, c’est subtil.

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L’ormeau, en sashimi, c’est à dire juste coupé. Il a été cuit et est nappé d’une “sauce” faite avec son “foie”. Très beau produit pour la France, mais les mers ici ne produisent pas les ormeaux qu’il peut y avoir au Japon ou en Chine. Ce n’est juste pas comparable, déjà par la taille mais surtout par l’umami. Ici, c’est un très bel ormeau, mais dont la cuisson aussi a été trop longue. La “sauce” ne suffit pas pour compenser le manque d’umami. Enfin, les tranches sont beaucoup trop fines: le goût est perdu. L’épaisseur de la tranche est une façon de “cuisiner”, de déterminer le goût du sashimi ou du sushi: il faut s’adapter à chaque produit, cela vient aussi avec l’expérience…

Et l’on en vient au nigiri…cette maudite boulette, si insignifiante en apparence, si complexe en réalité. Souvent, on entend le plus beau compliment du sushiya : les poissons sont tellement frais, c’est the best sushi ! Méfiez-vous: la personne ne sait pas de quoi elle parle. Car il suffit de regarder un sushi. Qu’est ce qui fait la différence entre un sashimi et un sushi ? Et pourquoi préfère-t-on le sushi au sashimi, sauf quand le sushi est mauvais ? Parce qu’un sushi, c’est 80% de riz. 20% seulement de poisson. Alors si le riz est mauvais, s’il est mal cuit, mal assaisonné, mal formé, le sushi n’est pas bon, quelle que soit la qualité du poisson qui est dessus.

Parmi les cuisines du monde que j’ai connues, la confection de cette boulette est une des choses les plus difficiles, les plus techniques, les plus instinctives et qui demandent le plus d’entrainement… Le nigiri s’appelle nigiri parce qu’on le ferme dans le poing. La boulette est en fait “une boite” fermée par tous les doigts y compris le pouce. Très important le pouce… Le geste se pratique bas, à la taille et non au niveau de la poitrine ou des yeux, comme on a naturellement tendance à faire. Lorsque le geste est bas, la pression est plus naturelle. Les épaules sont détendues. Et non, ce n’est pas au confort du sushiya qu’on pense. C’est tout simplement que le geste est plus précis lorsque le corps est détendu.

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Thon rouge évidemment. C’est très bon, de la très belle qualité. Une chair très fine et délicate qui manque toutefois un peu du goût de sang qui caractérise le très bon thon. Ça manque de punch…

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Tous les sushi sauf le chirashi sont pressés. Le nigiri est pressé dans la main et les doigts, le maki est pressé avec le makisu. Dans les deux cas, la pression doit être suffisante pour qu’aucun grain de riz ne se désolidarise. Mais elle ne doit pas être forte au point où le riz devient une masse compacte. Il faut que chaque grain de riz puisse « respirer » un peu. Le sushi parfait, nigiri ou maki, est celui que l’on obtient avec quelques pressions parcimonieuses, car plus on touche le riz et le poisson, plus ils chauffent. Plus il y a de l’amidon et plus c’est dégueu…à voir et à manger. On ne tripote pas un sushi…on ne le caresse pas non plus. On le fait le plus rapidement et précisément possible et on le lâche aussitôt.

Le nigiri parfait est celui dont les grains tiennent parfaitement ensemble jusqu’à ce qu’ils atteignent la bouche, mais se dispersent quasi immédiatement, presque sans pression de la langue et du palais. C’est excessivement difficile. Il faut répéter, répéter, répéter…comme un prélude de Chopin mesure par mesure ou un kata en art martiaux. Un exercice manuel, bête, répétitif, abrutissant. Mais cela ne s’apprend ni dans les livres, ni en regardant faire les autres. Il faut dire qu’il y avait un sushiya 3 étoiles Michelin à Tokyo dont le riz ne tenait pas du tout jusqu’à la bouche, il se désagrégeait entre les baguettes ou les doigts…comme quoi, on peut être très côté sans savoir faire le moindre nigiri.

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Peut-être le meilleur produit de la soirée. Un vernis. C’est une grande spécialité bretonne, qui n’existe pas au Japon. Légèrement iodé, il a un très beau croquant et de la mâche, une intensité en bouche et une sucrosité exquises.

Enfin, même si on sait faire la boulette, à la bonne taille, ni trop ronde, ni trop fine, qui tient bien, il faut l’adapter au produit : car entre une tranche de thon rouge, d’encornet, un vernis ou un ormeau, ce n’est pas du tout la même chose. Je ne vous parle même pas du shinko, l’enfant du kohada, qui est tellement petit qu’on fait un nigiri avec 2, 3 voire 4 poissons entiers.

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Chinchard de ligne. Taille 24 cm. Produit magnifique. La grande caractéristique du chinchard est sa fraicheur en bouche. Elle peut être croquante si le chinchard est servi  sans repos, ou fondante si le sushiya préfère le laisser reposer.

Depuis l’ouverture de Hinoki, au bout d’efforts que l’on n’ose même pas imaginer, il a appris en quelques années à maitriser ses produits. Les produits de Xavier sont magnifiques. La mer de Bretagne recèle une abondance de trésors que l’on découvre à travers des sushi français!! Il maitrise le riz, sa cuisson et son assaisonnement. Son objectif aujourd’hui: arriver à faire des nigiri parfaits. Avec des tranches de poisson parfaites. Des boulettes parfaites. Pour cela, il faut du temps : il lui faut faire tout seul ce que font les commis. S’exercer après le service, tous les soirs, avec les restes de riz qui sont à jeter. Une, deux, trois…30, 40, 50 boulettes par jour, tous les jours, pendant des années et des années.

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Gunkanmaki d’œufs de truite. Beau produit, belle découverte. Nous sommes toujours beaucoup sur la fraicheur, pas énormément d’umami, mais ce sont des produits absolument incomparables.

S’il y a déjà des tas et des tas de sushiya japonais au Japon ou dans le monde qui ne lui arrivent pas à la cheville, en comparaison avec un “super” maître sushi, Xavier a encore des progrès à faire. Il le sait très bien. Le sushi de Xavier est une originalité française, beaucoup plus que les sushi fantaisistes (et pas bons!!) aux œufs verts et au Nutella. C’est en voulant reproduire la pure tradition japonaise qu’il a réussi l’impossible: créer les premiers vrais sushi français. Ou devrais-je dire bretons? D’un point de vue gustatif au sens propre, c’est à dire des goûts, ils frisent de très près la perfection car les produits sont splendides. Quant à la technique, s’il y a encore du travail, dans un ou deux ans, je suis prête à parier qu’elle aura encore fait des bonds, s’approchant résolument de l’objectif que Xavier s’est fixé.

Et je ne serais pas étonnée si un jour, il rejoignait les rangs des meilleurs sushiya du monde.

 

Nikiri: sauce servie dans les sushiya haut de gamme, à la place de la sauce soja, étalée directement sur le sushi avec un pinceau par le sushiya. Composée généralement de sauce soja, de saké et de mirin.

Ikéjimé: méthode pour tuer le poisson instantanément, lui évitant ainsi de souffrir, non pas pour des raisons éthiques, mais tout simplement parce qu’un poisson qui meurt lentement en se débattant perd beaucoup de goût.

Kobujimé: technique qui consiste à envelopper un produit, généralement un filet de poisson blanc, dans une feuille d’algue kombu pour l’assécher un peu et lui transférer le parfum et l’umami du kombu.

Akami, chu-toro, toro: la partie rouge, mi-grasse et grasse du thon, respectivement. On juge généralement la qualité du thon par l’akami. Le chu-toro est souvent la partie la plus prisée et réservée aux habitués connaisseurs car il n’y en a pas toujours, et même s’il y en a, il y en aura peu. On vous servira souvent du toro en disant que c’est du chu-toro… On l’aime pour son beau dégradé du rouge au rose et son goût à la fois frais et riche. Le toro est souvent la partie la plus facile à apprécier car sa graisse lui donne beaucoup de richesse. Mais le toro de qualité est excessivement rare, car il doit reposer suffisamment pour que les fibres du gras deviennent fondants, moins présents sur la langue, sans pour autant devenir lourds, voire rances lorsqu’il est mal traité.