Hamada, Hoshinoya Tokyo

Noriyuki HAMADA.

Vous le connaissez peut-être pour son Bocuse de bronze en 2013, ou encore à travers son livre « Noriyuki Hamada – Restaurant Yukawatan » (Éd. Glénat 2014). Depuis cet été, il est devenu chef du nouvel hôtel de luxe Hoshinoya, situé en plein cœur de Tokyo (voir détails plus bas).

 

Caillette de petits poissons. Frite de ralfsiale (algue). Tuile d'arêtes.
Caillette de petits poissons. Frite de ralfsiale (algue). Tuile d’arêtes.

 

Jusqu’en 2015, Hamada était chef du restaurant Yukawatan, situé à Karuizawa dans les montagnes au nord de Tokyo. Ce restaurant fait partie du même groupe hôtelier japonais Hoshino et continue à tourner avec la brigade formée par Hamada. Depuis qu’il a été le premier Asiatique à monter sur la troisième place du podium au concours international de cuisine française du Bocuse d’Or, Hamada est un peu la figure de proue du groupe.

 

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À gauche: Cromesquis de kôtake (champignon) et de riz. À droite: Consommé de kôtaké.

 

Fin 2015, il m’appelle:

« Masui-san, je suis muté au Hoshinoya de Tokyo! »

« Félicitations…Mais c’est un ryokan, non? Ça ouvre quand? » (un ryokan est une auberge traditionnelle japonaise)

« Cet été. Mais oui, c’est un ryokan et je dois faire de la cuisine japonaise! Je ne sais pas quoi faire… »

Bien que n’ayant jamais été formé en France, Hamada est un cuisinier de cuisine française. Les jus, les sauces, les feuilletages et les cuissons longues n’ont pas de secret pour lui. Mais les cuisines françaises et japonaises sont fondamentalement différentes. Les bases, les techniques, depuis la découpe jusqu’aux cuissons, sans parler des présentations…

Au restaurant Yukawatan, il faisait une cuisine française avec les produits du terroir japonais. Cela donnait une cuisine japonisée, et vu d’un oeil français, elle pouvait être très japonaise. Mais on voyait immédiatement que les bases, les structures et la façon d’accorder les saveurs étaient bien françaises. Hamada n’a jamais été formé à la cuisine japonaise, si ce n’est que ses parents sont traiteurs et qu’il a appris naturellement à cuisiner avec des baguettes.

Je comprenais bien son désarroi. Imaginez que vous faites des crêpes toute votre vie. Puis tout d’un coup, on vous demande de faire des sushis…?

J’éprouvais une certaine compassion à son égard. Je le voyais faire une espèce de cuisine mi-figue mi-raisin, ni tout à fait l’une ni tout à fait l’autre. Sashimi à la sauce salmis, tataki au beurre blanc?

 

Dressage très japonais. On aime les feuilles et les fleurs de saison.
Dressage très japonais. On utilise souvent les feuilles mortes pour accentuer un plat d’automne.

 

Mais il fallait bien que je l’encourage alors je lui ai dit:

« Personne ne peut s’attendre à ce que vous fassiez de la cuisine japonaise du jour au lendemain. Vous n’avez pas les bases, et en plus, à Tokyo, il y a une rude concurrence. Des vrais cuisiniers japonais, et des très forts! Dressez vos plats dans de la vaisselle japonaise, utilisez un peu moins de beurre, un peu plus de cru. Faites de la fusion. Ça passera très bien! »

Je n’en croyais pas un mot et je pense que lui non plus.

 

Chevreuil mariné, purée d'aubergines au gingembre.
Chevreuil mariné, purée d’aubergines au gingembre.

 

Heureusement qu’il ne m’a pas écoutée.

 

Amuse-bouche.
Amuse-bouche.

 

Je m’attendais à être déçue. À déprimer devant l’échec d’un cuisinier pour lequel j’ai beaucoup d’estime. À rencontrer une cuisine qui n’a aucun style, un mauvais méli-mélo.

Que nenni.

 

Crabe kégani dit "poilu", oursin, mousse de carottes, bisque de crabe poilu.
Crabe kégani dit « poilu », oursin, mousse de carottes, bisque de crabe poilu.

 

Voici ce dîner.

J’ai retrouvé avec beaucoup de plaisir et de surprise, sa patte, sa signature, son univers. Ni française ni japonaise, mais entière.

 

Consommé de managatsuo (Pampus punctatissimus)
Consommé de managatsuo (Pampus punctatissimus)

 

Avec une précision tracée au fil du rasoir, une méticulosité hors pair, une fraicheur époustouflante.

Oui, c’est fusion. Oui, il a sans doute besoin d’un peu plus de temps.

Mais le gars est fort, très fort.

 

Filet de bœuf et ôtoro (ventrèche la plus grasse), tuile de sésame, wasabi frais.
Filet de wagyû et ôtoro (ventrèche la plus grasse), tuile de sésame, wasabi frais.

 

Ce plat reprend la boite en bois – qu’en France on a appelé « bento » – et l’assiette qui ont servi pour l’épreuve poisson au Bocuse d’Or en 2013.

 

Bœuf en croûte de sel en enveloppement d'algue kombu, yuzu-kosho à l'algue nori, jus de volaille.
Kobujimé de wagyû en croûte de sel, yuzu-kosho à l’algue nori, jus de volaille.

 

Le yuzu-kosho est un condiment traditionnel de l’ïle de Kyûshû, composé de piment vert, de yuzu et de sel. Très parfumé, salé et un peu piquant.

Le kobujimé est une technique utilisée traditionnellement pour le poisson. Ce dernier est enveloppé dans une feuille d’algue kombu afin de le parfumer, lui donner du goût, et lui enlever l’excès d’humidité.

 

 

 

Agneau aux palourdes japonaises, légumes de Mr Yoda.
Agneau aux palourdes japonaises, légumes de Mr Yoda.

 

Le seul plat du dîner qui ne m’a pas convaincue. Chaque élément est très bon mais l’ensemble m’a paru trop compliqué avec des saveurs qui partent un peu dans tous les sens. Mais les cuissons sont remarquables de justesse; les saveurs des légumes sont mises en avant avec doigté et délicatesse.

 

Ginseng et yuzu.
Ginseng et yuzu.

 

Le pré-dessert, très curieux mais tout à fait excellent.

 

Shichimi noir et poire
Shichimi noir et poire

 

Le shichimi est littéralement le « sept-épices » japonais. D’habitude de couleur orangée car composé de piment rouge, sésame, zeste de mandarine, pavot, chanvre, nori et sansho, le shichimi noir est une spécialité « noble » de Kyoto. Composé de piment, sansho, sésame blanc, sésame noir, pavot, graines de lin et nori vert, il est moins piquant et plus parfumé.

 

Panna cotta aux lettres noires et purée de poire.
Panna cotta au kuromoji et purée de poire.

 

Le kuromoji est une plante de la famille des Lauracées.

 

Caramélisé de figue, verre de shôchû, streusel de glands.
Caramélisé de figue, glace au shôchû, streusel de glands.

 

Le shôchû est une eau-de-vie japonaise, généralement à base de riz, orge, sarrasin et patate douce. Il titre entre 20° et 45°.

 

Mignardises.
Mignardises.

 

Le service est attentionné et très sympathique. Seul bémol: le néo-japonisme de l’uniforme du personnel frise le comique avec comme seul avantage l’unisexe – les hommes et les femmes sont habillés exactement pareil, ce qui ne serait pas possible avec des kimonos traditionnels.

 

Vins français, japonais et saké.
Vins français, japonais et saké.

 

Je n’ai pas très bien vu le restaurant. À l’instar des grands établissements traditionnels, il semble être composé de plusieurs salons individuels, mais au lieu de s’assoir au sol, ici ce sont des tables « normales » et des chaises. Pourtant le néo-japonisme est omniprésent. De l’entrée de l’hôtel, dans l’ascenseur, jusque dans les couloirs et chaque salon, tout est tapissé de tatami au sol et de bois japonais aux murs. Tout est sombre avec des jeux d’ombres contrastés, excessivement feutré et un peu mystérieux.

Pour l’instant, seuls les clients de l’hôtel peuvent y dîner.

Le diner seul: 18000 yen (soit 150€ environ. Disponible aux clients de l’extérieur à partir d’une date non définie en 2017)
1 nuitée + 1 dîner pour 2 personnes: Deux nuitées (minimum) + un dîner:  à partir de 1000€ environ.

 

L'entrée.
L’entrée. L’ascenseur qui mène aux étages où sont les chambres et le restaurant est à droite.

Hoshinoya est la « marque » haut de gamme du groupe hôtelier japonais Hoshino. Dits « ryokan de luxe », ils sont à Kyoto, Okinawa, Karuizawa… les centres balnéaires ou de sources thermales traditionnels. Ils ont en commun un style qui se voudrait à la fois authentique et contemporain.

L’onsen est un passe-temps favori au Japon. Littéralement « source chaude », ce sont des sources thermales abondantes dans l’archipel volcanique. Le tourisme intérieur autour de l’onsen est extrêmement développé, avec une préférence de la part de la clientèle pour l’auberge traditionnelle toute en bois et tatamis – l’onsen-ryokan, ou le ryokan avec source chaude.

On s’y retrouve en famille ou entre amis, on y boit, on y chante et surtout on s’y baigne. Dans des bains parfois naturels dans les rochers – sans doute avez-vous vu ces images des singes qui se baignent dans les sources chaudes des montagnes enneigées – plus souvent dans des établissements où l’eau est tirée de la source et déversée dans des grands bassins, un peu comme dans la Rome Antique.

L’onsen-ryokan idéal est situé dans la montagne ou au bord de la mer, et, contrairement aux hôtels de style occidental, il représente bien plus qu’un simple hébergement. Des yukata, kimonos d’intérieur en coton, sont fournis. On dort sur des futons qui sont rangés chaque matin. La demi-pension est de rigueur, avec le petit-déjeuner et le dîner traditionnels servis dans la chambre ou dans des salons privés, sur des petites tables basses individuelles. Le personnel de service, féminin, est toujours habillé en kimono. Totalement anachronique de nos jours, le ryokan offre un moment de pure nostalgie où l’on va beaucoup plus pour y passer du temps que pour visiter les environs.

Il n’existe aujourd’hui aucun onsen-ryokan à Tokyo, à part quelques établissements vétustes en banlieue. Ainsi, le nouveau Hoshinoya de Tokyo est révolutionnaire et osé de la part du groupe Hoshino. D’abord parce qu’il a fallu creuser le sol très profondément pour puiser dans les eaux enfouies sous la ville. Ensuite parce que le groupe vise non pas le touriste japonais mais bien l’étranger, en lui offrant une expérience japonaise revisitée et plus accessible aux non-Japonais.

 

Hoshinoya Tokyo
1-9-1 Otemachi
Chiyoda, Tokyo 104-0004
Tél: +81 5 7007 3066