Récits iodés

Honnêtement je ne pensais pas qu’il le ferait.

Lorsque mon ami Patrick Cadour m’a dit qu’il écrivait un livre sur la pêche à pied, ma première pensée fut : « C’est quoi ? » suivie immédiatement par « il n’y arrivera jamais ».

Patrick est l’auteur d’un blog merveilleux, bourré d’anecdotes et de recettes sympathiques. Il s’appelle « Cuisine de la mer » et je l’aime beaucoup. Mais écrire un livre n’est pas la même chose que d’écrire un blog.

Un an et quelques mois plus tard, je reçois par la poste un petit paquet. Dedans, un livre bleu, parfois gris et un peu vert. La vraie couleur de la mer, pas celle des cartes postales, mais la mer avec tous ses reflets qui changent, tout le temps.

 


Je l’avais emporté avec moi au Japon, quand je suis allée visiter Yamada, dans la baie du même nom. La ville avait été dévastée par le tsunami de 2013 et se reconstruit lentement. Mais la mer est la même partout, aux couleurs du livre de Patrick.

 

Je l’ouvre, au hasard, et je lis :

« Si c’était un homme, le poulpe passerait sa vie à chercher ses chaussettes en marchant sur la tête. »

Je souris, évidemment.

« Il a le sang bleu, dispose de trois cœurs, d’un cerveau, et de huit centres nerveux, soit un par tentacule, chacun agissant de façon autonome. »

Trois cœurs ! Rien que ça. Et huit centres nerveux ?

Cela m’a donné à la fois envie de ne plus jamais manger de poulpe, et d’en cuisiner un pour voir de plus près.

Je continue à feuilleter. Page 98 « La mye et la lutraire ». Qu’est-ce donc ? Plus bas, la recette de la « salade de couilles de cheval ». C’est ainsi qu’on les appelle en Bretagne – « kouilhou kezec » (kezec désigne le cheval)-, à cause de leur forme. Sacrés Bretons!

Puis page 104, je trouve la recette des « amandes farcies au beurre d’amandes », celle de « l’éclaté d’amandes à la fumée de pin », la « marinière d’amandes au rhum façon créole », le « Clambake », et enfin, une de mes soupes préférées sur terre, le « clam chowder de la Nouvelle-Angleterre ».

Et là, je me mets à rêver…

Rêver, aux saveurs marines que ce livre illustre directement, sans encombre. Aux parfums des embruns, aux vagues et à l’écume. Au goût puissamment iodé de l’huître sauvage ; à la petite élasticité de la telline ;  à la bonne sucrosité du bouquet de crevettes roses dont Patrick dit : « Je commence toujours chaque partie de pêche en croquant vivante la première prise ».

Que cela donne envie ! Bien que je ne sois pas certaine de pouvoir réellement croquer une bête qui gigote avec ses multiples pattes minuscules, l’imaginaire, ou le fantasme auquel ces pages donnent vie, fait le reste.

 

 

Ce livre est une perle savoureuse, drôle et étonnamment instructive. Même si je ne pratiquerai sans doute jamais la pêche à pied, la prochaine fois que je verrai un gars les pieds dans l’eau et un filet à la main, au lieu de me demander s’il n’a pas froid, j’aurais envie de me pencher sur son filet et d’y piocher, qui sait? Quelques étrilles à croquer. J’ai aussi appris des tas de choses sur les produits marins, aussi connus que la saint-jacques (saviez-vous qu’il y en a des noires dans les abers du Nord-Finistère?) ou méconnus, comme le petit crabe vert, qui peuplent ces mers bretonnes sauvages mais accueillantes. Des récits joyeux, touchants et toujours évocateurs d’écume et de sel. Des recettes qui donnent vraiment envie, de les manger mais aussi de les réaliser.

Tenez, en voici une, très simple.

Palourdes au rhum, à la plancha.
Sur une plancha très chaude, répartissez quelques poignées de palourdes, et ne cessez pas de les agiter jusqu’à ce qu’elles soient bien ouvertes. Déglacez avec une giclée de rhum brun de qualité, ou flambez carrément. Dès qu’ils auront goûté, vos invités vous appelleront « Capitaine ».

Je vous en conseille vivement la lecture.

Récits et recettes du ressac – La pêche à pied
Par Patrick Cadour
248 pages 19€
Aux Éditions de l’épure