Okuda le luxe japonais enfin à Paris

Diner ce soir chez “Okuda” le restaurant éponyme du chef Toru Okuda du restaurant triplement étoilé “Koju” à Tokyo.

J’y étais allée en 2011 avec Pascal Barbot et Ayako Ota, sa chef pâtissier de l’époque. J’étais curieuse de voir ce qu’il avait fait à Paris. Pas facile pour un Japonais de faire du “vrai” japonais à Paris (ou ailleurs).

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L’entrée. Cela pourrait être à Tokyo, à Kyoto, à Osaka…mais c’est à Paris.

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Au Japon, les restaurants ne sont pas tenus d’afficher leurs prix. En France, oui.

Certains journalistes qui étaient allés au déjeuner presse m’avaient dit qu’ils avaient trouvé cela ennuyeux. D’autres, pas bons. Mais je me méfient toujours des repas presse. En général, ce n’est pas terrible, à tel point qu’on se demande pourquoi ils les font. Tous m’ont dit que c’était trop cher.

C’est vrai que 160€ pour le déjeuner, 200€ pour le diner, ce n’est pas donné. Mais c’est moins cher qu’au Japon (même au taux de change actuel où le yen est affreusement bas). Cela ne me parait pas anormal vu la situation (près des Champs), le personnel (tous viennent du Japon), et l’intérieur.

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Tous les détails sont tellement japonais…

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…que ça en devient presque exotique.

Pour nous Japonais, l’intérieur fait plaisir. Car nous retrouvons le luxe du restaurant huppé japonais. Certes, du bois brut et des baguettes peuvent paraitre basiques lorsqu’on est habitué à l’argenterie et aux grandes nappes blanches. Mais ce bois, du hinoki qui sent bon, est affreusement cher même au Japon, et est pour nous un gage de qualité. Ou disons au moins du luxe à la japonaise.

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Cela ne se voit peut-être pas, mais tout ceci a coûté horriblement cher à mettre en place.

Le chef nous fait visiter le restaurant car nous étions les premiers arrivés.

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Un salon à tatamis avec un hori-gotatsu, c’est à dire une sorte de trou sous la table pour mettre ses jambes et s’assoir sur le bord du tatami comme sur une chaise. Aujourd’hui, cela se fait communément au Japon où de plus en plus de Japonais ont du mal à s’assoir correctement par terre.

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Une autre pièce dont l’entrée est conçue comme une maison de thé. Aïe, cela ne va pas plaire aux Français ici. Car tout est très éclairé. Au Japon, ce n’est pas rare. Les restaurants même les plus huppés sont souvent bien éclairés. Mais en France, on aime que ce soit un peu plus feutré, bien que pas autant qu’aux USA. On va dire que c’est froid…et c’est vrai que ce n’est guère accueillant. Cet espace est petit et on se sent un peu tassés. Mais c’est très japonais.

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Même les toilettes viennent du Japon. Totalement automatisées.

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En cuisine, on se croirait au Japon. Encore. Tous ces couteaux sont des “vrais” avec manches en bois brut et super lames.

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Grosse planche épaisse et donc très stable, toujours en bois blanc, pour la découpe des poissons. Le robinet sert à rincer la planche, posée sur une sorte d’évier à planche.

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Le service commence. Nous retournons en salle.

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Voici la salle où pour moi, il faut absolument réserver. Je n’ai pas du tout envie d’aller dans les autres salles, sauf peut-être dans le salon à tatamis pour y emmener des gens. Mais au Japon, on sait qu’on mange toujours mieux au comptoir. C’est bizarre que ça n’ait pas le même goût, mais c’est une réalité.

6 places au comptoir, un septième derrière un poteau qui devait être déplacé mais dont la Mairie de Paris a interdit le déplacement au dernier moment. Ils sont en cours de négociation…

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Encore une fois, cela peut paraitre bizarre dans un resto à 200€ le menu, de manger sur une planche en bois blanc brut (en hinoki!) sur un plateau qu’on jurerait est en plastique (bois laqué) avec des baguettes jetables (toujours).

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Les serveuses sont bien sûr en kimono de qualité. Le chef va officier derrière cette grosse planche. Sur les côtés deux planches moins épaisses, d’appoint.

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Langouste presque crue, mini maïs, gombos, courgette, petites asperges vertes, aubergine, potimarron, en hitashi au dashi, parfumé au wasabi.

C’est très bon. Très frais, avec un dashi bien assaisonné mais qui reste délicat et fin. Certains légumes viennent de chez Olivier Durand, maraicher à Nantes, qui a fait des stages au Japon et cultive des légumes japonais. Boire le dashi à la fin même si le récipient n’est pas des plus confortables.

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Chawan-mushi au tourteau, ankaké de champignons.

Le chawan-mushi, souvent traduit “flan salé” est un mélange d’œuf et de dashi, versé dans une tasse contenant quelques bouchées solides. La tasse est cuite à la vapeur.

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L’ankaké, que l’on voit sur la surface, avec les champignons, est une sorte de sauce translucide épaissie à l’amidon de kuzu ou de fécule (ici, c’est du kuzu, évidemment). La partie “flan” est en dessous.

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Le menu est kaïseki, et respecte certaines règles comme le wan, ou bol, après les “entrées”. Bol en laque japonaise évidemment.

Le wan est la première soupe, servie en début de repas. Celle-ci est claire, et contient un ou plusieurs aliments solides et en un seul morceau, contrairement à la soupe miso servie en fin de repas et qui contient des aliments solides mais en petits morceaux.

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Bouillon clair de daurade royale, vermicelles et matsutaké, cheveux d’ange de poireaux.

Léger parfum de yuzu qui me rappelle qu’on a la main lourde avec le yuzu en France…j’avais oublié cette subtilité. Au fond, des vermicelles en blé fin, très blancs. Dessus, une grosse tranche de daurade qu’il faut couper avec les baguettes dans le bouillon (d’une main…on tient le bol à la main gauche, et on coupe avec la main droite, ou vice versa si vous êtes gaucher). Et surtout, le matsutaké, qui dégage son parfum synonyme d’automne. Le matsutaké est très prisé au Japon, un peu comme le cèpe en France mais en plus cher. Il est grillé sur la braise pour relever son parfum tout en gardant son croquant.

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Pendant ce temps le chef nous fait le prochain plat qui est visiblement un sashimi. Ça fait du bien de voir une planche aussi impeccable…je crois que c’est la première fois à Paris.

Cette “blancheur” du bois est très importante pour nous. C’est un symbole de propreté et de pureté. En termes absolus de “microbes”, je ne sais pas si c’est vraiment propre, car ce bois n’est jamais nettoyé à l’eau de Javel. Mais il est présent dans toutes les maisons de qualité, que ce soit de kaïseki ou de sushi. Aussi incontournable chez nous que le plateau en argent en France, aucune maison de qualité ne saurait exister sans ces planches en hinoki.

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Le sashimi est posé sur une planchette en attendant…

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…d’être dressé sur un plat par oyakata.

Le chef nous explique que là où il rencontre le plus de difficultés, c’est pour le poisson. Je savais que l’approvisionnement poserait de gros problèmes et me demandais comment il allait surmonter l’obstacle. Aucune surprise donc que le poisson lui pose problème, ou plutôt, petite surprise qu’il se limite à dire que les légumes en France sont beaucoup plus durs. Je m’attendais à ce qu’il râle plus sur tout.

Pour le poisson, l’ikéjimé, un acquis au Japon, n’existe pas ici. C’est moins grave pour les poissons cuits, mais pour le sashimi, notamment de poisson blanc, c’est rédhibitoire. Mais il ne peut pas ne pas en servir…aujourd’hui, le poisson blanc est un carrelet exceptionnel, le meilleur poisson blanc qu’il a eu depuis l’ouverture dit-il.

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Thon gras, thon rouge, seiche de l’Ile d’Yeu, carrelet et engawa de carrelet. En condiment: caviar, boules d’igname et concombre, nori trempé dans du saké et de la sauce soja.

Le wasabi vient d’Angleterre dit-il mais il est moins bon qu’au Japon. Le wasabi est une plante extrêmement difficile. Encore un point qu’il lui faudra explorer.

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J’ai beaucoup aimé le nori. C’est goûteux et marche très bien avec le carrelet. Mais les poissons manquent tout de même d’umami…cela vient de l’absence d’ikéjimé, du repos…compliqué, ça.

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Ensuite un bar grillé sur la braise, au sel. Avocat en karaagé de kuzu, sauce sésame et patate douce frite aussi. Sudachi à presser sur le poisson qu’on mange avec le daikon râpé formé en boule et “teint” à la sauce soja.

L’avocat est très bon…un peu sucré, je me demande d’où ça vient. Cela ne me semble pas être du sucre. Le sous chef me dit que c’est facile à faire. Ouais. On verra. Faut déjà se procurer du bon kuzu. Je n’en connais pas en France.

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Filet de bœuf grillé au miso yuan (on va dire marinade au miso pour simplifier), kinpira gobo, kabu et komatsuna.

Le gobo est très assaisonné, limite trop salé mais il reste bon car le komatsuna et le kabu sont juste au dashi. Le kabu est très fondant, un peu trop peut-être mais je pense que c’est pour contraster les textures. Ce qui est dommage, c’est le bœuf. Il a été préparé avec le bœuf japonais en tête, beaucoup plus persillé et gras. Ça manque de graisse, d’umami.

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Chirashi-zushi d’anguille sauvage, une spécialité de Koju. Le chef nous a dit que s’il n’avait pas pu installer son feu à charbon, il aurait abandonné son projet de restaurant en France. La grillade au charbon est une spécialité de Koju. Elle est pratiquée sur le bar, sur le bœuf, et sur l’anguille.

L’anguille est généreuse, grasse et sa peau est très croquante, caramélisée. C’est bon. Le riz est un peu moins réussi, il me parait un tantinet aqueux. C’est évidemment un riz importé du Japon mais dont le chef dit qu’il a encore à maitriser parfaitement la cuisson car avec le transport, le riz est moins frais qu’à Tokyo, ce qui est logique (le riz est sec évidemment mais il est meilleur immédiatement après le polissage).

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Le riz signifie la fin du repas kaïseki, il est accompagné de tsukémono de radis et concombre, légèrement fermentés au sel, et de kombu confit.

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La soupe miso est au tofu et abura agé. C’est du tofu coupé en tranches et frit. Fait maison visiblement car je ne connais pas cette qualité d’abura-agé dans le commerce en France.

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Compote de pêches, blanche, plate et de vigne, sorbet et gelée à la pêche.

Un dessert très japonais, correspondant bien à l’appellation “mizu-mono”, littéralement “chose de l’eau” du menu kaïseki. Souvent un fruit et une gelée car les étés au Japon sont chauds et humides et nous avons envie de beaucoup de fraicheur. En France en octobre, je trouve que cela passe moins bien. Chacun son terroir…

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Excellent thé sencha à la fin. Un thé de bonne qualité, qui a été infusé avec la quantité de feuilles idéales, à la température idéale, pour venir en fin de repas et rincer le palais.

En conclusion. Est-ce vraiment japonais? Oui, 100%. L’idée est de faire exactement comme à Tokyo, avec des produits frais obtenus en France mais beaucoup de produits non frais venus directement du Japon. Il n’y a aucune concession ou adaptation dans les techniques culinaires, la cuisine, même les cuisiniers et les matériaux (15 maçons et menuisiers japonais sont venus pour faire l’intérieur. On le voit bien dans la menuiserie des boiseries et les murs en “torchis” japonais qu’aucun maçon en France ne saurait faire.

Est ce que cela vaut le coup? 200€ c’est cher. Mais c’est moins qu’un restaurant gastronomique parisien. En France, on est prêt à payer 300€ et plus pour un diner au George V, au Meurice, chez Passard ou Gagnaire mais pas pour un repas “étranger”. Par rapport à cela, on brise ici un tabou qui avait déjà été un peu brisé à mon avis avec le Shang Palace, le restaurant chinois de l’hotel Shangri-La. Selon les variations du taux de change, 200€ c’est sensiblement le même prix qu’à Tokyo.

Est ce que cela vaut le coup dans l’absolu? C’est là que ça devient compliqué. Si vous voulez une expérience gastronomique absolument authentique y compris dans le mobilier, la vaisselle, l’agencement, la cuisine, le service et même les toilettes, en payant 200€ chez Okuda, vous économisez le billet d’avion jusqu’au Japon.

Si par contre, vous vous en fichez de l’authenticité, mais vous voulez une expérience gastronomique qui vous laisse sur le cul, c’est non. Sous toute réserve que cela vient d’ouvrir et qu’il faudra un temps d’adaptation plus long encore à mon avis, que pour un cuisinier français ou formé en France, car il faut que tout le monde s’habitue au terroir français, aux produits, à l’eau, à l’air. Mais pour un kaïseki époustouflant, il faut toujours aller à Kyoto.

Tout est parfaitement bien exécuté et bon. Il manque juste la petite étincelle qui fait qu’on est émerveillé, enchanté, par un repas. Mais c’est également ce que nous avions ressenti à Tokyo, chez Koju…Cela arrive souvent dans les kaïseki de Tokyo. Le meilleur kaïseki est sans conteste à Kyoto où les petits légumes sont carrément des AOC, où chaque plat est tellement beau que l’on n’ose y toucher. Je ne sais pas pourquoi, il y a un raffinement, une délicatesse, des subtilités que je n’ai jamais rencontrés à Tokyo, plus direct moins chichiteux, certes mais aussi plus « bourrin ». De la même façon que le meilleur sushi est à Tokyo, le meilleur kaïseki est à Kyoto. Ça ne se discute même pas.

Mais j’apprécie beaucoup la prise de risque chez Okuda. De refaire exactement comme dans un 3 étoiles à Tokyo, mis à part le coût phénoménal que cela a représenté et qui ne se verra pas beaucoup car c’est ça, le Japon, il fallait oser. Et j’aimerais y retourner de temps en temps parce qu’on y respire l’air du Japon. Pas l’air des quartiers populaires ou d’un boui-boui, mais celui d’une maison de qualité. Cela fait plaisir de retrouver des cuisiniers avec leurs petits chapeaux (réservé aux cuisiniers de cuisine japonaise), un service pas très cool ni friendly mais très japonais, et du bois, du bois partout et son parfum, qu’on respire en mangeant, exactement comme si on était là-bas.

Okuda
7 rue de la Trémoille
75008 Paris
01 40 70 19 19